Un premier tableau : Judith décapitant Holopherne peint par Caravage. Réalisée en 1598, il fut retrouvée par Roberto Longhi, le mentor de Mina Gregori. Elle est aujourd’hui conservée à la Galerie Nationale de l'Art Ancien de Rome. Il représente une scène biblique : la veuve Judith assassine le général assyrien Holopherne dans son sommeil après l’avoir séduit afin de sauver son peuple. La scène est crue, bien que l’histoire soit tirée de l’ancien testament. Le choix de représenter le moment de la décapitation montre l'anticonformisme du Caravage aux conventions de l’époque. Les giclées de sang au centre montrent toute la technique du peintre, notamment le clair obscur.
Un deuxième tableau : celui de Finson. Il représente la même scène mais de manière encore plus dérangeante: Judith fixe le spectateur avec un air de défi. Elle est vêtue de noir comme une veuve traditionnelle. La servante prend la place plus centrale, sa maladie de la gorge apparaît. Certains estiment qu’il s’agit de la copie d’une peinture perdue de Caravage. La correspondance du peintre Frans Pourbus va dans ce sens puisqu’il affirme l'existence d’une toile Judith et Holopherne non identifiée et copiée par Finson.
Un troisième tableau en 2014 : Qu’en est-il de la peinture disparue du Caravage ? Certains experts affirment qu’elle attend depuis des centaines d’années dans un grenier toulousain, ramenée d’Italie par un soldat Napoléonien. Ils s’accordent sur le fait que ce n’est pas une copie du fait de l'énergie qui s’en dégage, propre au Caravage et la présence de repentirs. Néanmoins, certains spécialistes du Caravage comme Mina Gregori ou Gianni Papi, ne croient pas à cette hypothèse.
Comment authentifier le tableau et l'attribuer au Caravage ? L’étude du processus d’authentification de l’oeuvre Judith et Holopherne donne à voir les interactions sociales au sein du monde de l’art . Les experts publics et privés, les conservateurs, les scientifiques, les laboratoires contribuent différemment au processus d’authentification.
L’authenticité est un fait, une caractéristique de ce qui est authentique, de ce qui ne peut être controversé. Il s’agit d’être certain du lieu, de l’époque, de la fabrication du tableau. Ces éléments ne sont pas directement accessibles. L’authenticité est une valeur intrinsèque au tableau. C’est ce que nous avons ressenti lorsque nous avons rencontré les différents acteurs autour du tableau.
De plus, il convient de distinguer l’authentification et l’attribution du tableau Judith et Holopherne. Les deux processus sont liés et se recoupent lorsque les acteurs disent que le tableau est authentique. “C’est un vrai” peut signifier : c’est un vrai tableau du XVIe siècle, ou c’est un vrai Caravage. Cette dernière affirmation est plus précise, plus subjective -il s’agit de reconnaître le “geste” de l’artiste - et donc plus compliquée à prouver. Nous utiliserons souvent le terme “authentique” dans ces deux sens.
L’authentification est un processus. Il s’agit de rendre accessible – ou visible – les éléments évoqués précédemment, puis de les interpréter. L’expert peut lors se prononcer en faveur ou en défaveur de l’authenticité du tableau. La question de l’authentification attend une polarisation des avis et un résultat binaire : « c’est un vrai » ou « c’est un faux ». C’est une exigence notable du marché de l’art et des institutions publiques comme le ministère de la Culture. Or dans un contexte d’incertitude, cette authentification est construite. L’authentification englobe aussi le processus d’attribution. Dans le cas du Caravage, c’est ce qui pose le plus question.
L’attribution est un processus plus précis. Si l’authenticité porte sur le lieu, l’époque, les processus de fabrication, l’attribution consiste à « connecter » le tableau et son peintre. Or le Caravage a vécu aux XVIe et XVIIe siècles. Cette connexion est donc artificielle. Pour être valable, une attribution s’effectue selon un ensemble de critères stylistiques, iconographiques, techniques, au besoin avec des examens scientifiques en laboratoire. Mais il n’existe pas de condition nécessaire et suffisante qui certifie l’attribution du tableau. En outre, le terme attribution définit le résultat de l’action. Les liens entre le peintre et le tableau sont construits a posteriori. L’attribution de Judith et Holopherne au Caravage modèle les certitudes que les experts ont sur l’artiste.
La faillibilité - ou la subjectivité - des méthodes considérées comme “scientifiques” a d’abord bloqué notre travail de recherche. Nous cherchions encore une source d’objectivité afin de mêler les “sciences objectives” à l’art “subjectif”. Ainsi engagées, nos recherches étaient vaines. En effet, chaque technique “scientifique” s’avère malléable, et chaque élément objectif illusoire. Un procédé scientifique, c’est à dire différent de l’analyse stylistique humaine, peut être utilisé afin de prouver l’authenticité tout autant que la fausseté. Un ‘repentir’ découvert par infrarouge est signe que ce n’est pas une copie. Mais est-ce pour autant une preuve de l'authenticité du tableau ? Non, le peintre pourrait s’avérer si minutieux, qu’il ne faisait aucune faute. Ainsi, la présentation d’un élément scientifique “objectif” n’est pas détachable de l’histoire de l’art et de l’analyse stylistique, ni du discours qui l’entoure. Cette première difficulté nous conforte finalement dans notre problématique de sociologie des sciences.
Si les méthodes scientifiques sont faillibles, l’authenticité doit alors être socialement construite. Nous nous intéressons au moment où la décision finale est prise, sur ses modalités et ses implications notamment légales et sociales. Cette décision implique une prise de responsabilité. La question de la responsabilité s’est imposée au cours de nos recherches. Au premier abord, s’agit de comprendre le risque encouru par un cabinet d’expertise d’affirmer l’authenticité et l’attribution d’un tableau. Une prise de risque s’appuie de manière rationnelle sur des éléments objectifs. Or le cadre particulier de notre controverse - le monde de l’art - implique que certains agents assument la part de subjectivité dans leur décision. Lorsqu’un agent revendique son objectivité, il se détache souvent de toute responsabilité. Cette dichotomie entre responsabilité et objectivité est source d’une seconde problématique pour notre étude de controverse. Elle est abordée par la controverse sur le Caravage. En définitive, nous nous penchons sur la façon dont l’authenticité peut être objectivée, prouvée et construite.
Les acteurs se prononcent sur l’authenticité du tableau Judith et Holopherne. Certains sont ‘pour’, notamment le cabinet Turquin, qui est en possession du tableau. D’autres sont ‘contre’, comme l’experte italienne Mina Gregori. Ces experts en art, au sens large, se forgent une opinion après un contact direct avec l’œuvre. Ils cherchent toujours à donner des arguments concrets pour appuyer leur avis, pour « objectiver leur pensée ». D’autres ne se prononcent pas selon leur « instinct », mais utilisent des techniques d’analyse, d’imagerie, qui permettent de décortiquer le tableau. Plus qu’une œuvre, le tableau devient un objet d’expertise. Néanmoins, lorsque nous rencontrons les acteurs, tous nuancent leur position. L’instinct d’un expert est faillible, certes, mais il est crédible et audible dans le monde de l’art. Il est d’autant plus crédible lorsqu’il s’appuie sur des techniques décrites comme « scientifiques ». Nous percevons les interactions entre les différents acteurs, et la symétrie des connaissances, mais aussi les tensions qui peuvent émerger entre des sources d’autorité différentes, se basant chacune sur une façon d’objectiver l’authenticité.
Le premier acteur du monde de l’art à entrer en contact avec le tableau et Marc Labarbe. En tant que commissaire priseur à Toulouse, il est appelé début 2014 par un particulier pour l’authentification d’un tableau. Lors de notre entretien téléphonique avec lui, il nous affirme avoir reconnu une “école du Caravage” dans ce tableau : le style “caravagesque”. Pour lui, “c’est un très beau tableau”. C’est d’ailleurs d’après cette observation que M.Labarbe envoie directement des photos au cabinet Turquin.
Marc Labarbe s’adresse donc au cabinet Turquin à Paris pour expertiser l’oeuvre. Nous rencontrons la collègue de M. Turquin, Julie Ducher . Elle nous explique sa vision du métier d’expert de l’art. Ses compétences ne sont ni innées ni spécifiques, Julie nous indique “[qu’il] n’y a aucune étude particulière pour être expert d’art. Il y a à la base une prédisposition et après c’est surtout un métier d’usage. On devient bon avec le temps.”. Elle insiste au cours de l’entretien, qu’il y a un “rapport physique à l’oeuvre”. Elle insiste sur le fait de nous parler devant le tableau lui-même et valorise ainsi le rapport “physique” et “direct” avec l’oeuvre. Elle nous montre que “le tissu, de près on voit rien, c’est digne d’un grand artiste [...]. Quand vous reculez, le ruban s’installe [...] On trouve ça merveilleux”. Pour elle aussi, le premier contact au tableau est un moment fort. Le tableau se dévoile à qui sait le dévoiler. Elle confie à Paris Match, en avril 2016 :
“j’ai reçu un coup de poing dans la poitrine, à cause de Judith, de son visage. Son regard me parlait”.
Il faut donc déterminer qui a les capacités requises pour voir l’oeuvre. Mina Gregori est une experte en authentification et a une haute crédibilité dans le monde de l’art. Elle est historienne d’art reconnue pour son expertise du Caravage dès la fin de la Seconde Guerre Mondiale : elle “fait partie de ceux qui ont découvert Le Caravage après la guerre.” D’après Julie Ducher, c’est “elle [qui] a construit son corpus [celui de Caravage].” Lorsqu’elle voit le tableau, elle se prononce assez rapidement : ce n’est pas un Caravage. Son avis compte dans le monde de l’art, et elle est citée dans de nombreux articles. Toutefois, cette légitimité permise par l’expérience et l’âge - évoquée précédemment par Julie Ducher - a aussi son revers: à 96 ans, plusieurs acteurs nous font comprendre qu’elle n’a peut-être plus ses capacités au maximum. Julie Ducher nous indique notamment “[qu’elle] a aussi fait beaucoup d’erreurs, comme tout le monde”. La confiance et la crédibilité des acteurs sont donc des éléments centraux dans les échanges et les relations qui construisent le monde de l’art.
Gianni Papi fait également partie des experts stylistiques se prononçant en défaveur de l'authenticité du tableau. Nous nous entretenons avec lui via Skype , en italien. Pour lui, “stylistiquement, la peinture ne correspond pas au Caravage, mais pourrait plutôt être une oeuvre très importante du travail de Finson”.En effet, Louis Finson est un élève du Caravage, et fait plusieurs copies. Pour lui, la sensibilité de l’expert est “difficile à définir : c’est une sensation, une intention d’un expert, une sensibilité et un ‘oeil’ ”. Mais pendant l’entretien, il nuance son opposition. Il ne peut pas donner de “preuves concluantes”. “Tout le monde a son opinion” et “il est difficile de faire consensus” lorsqu’il s’agit du Caravage. Ce qui lui fait dire que le corps d’expert est “liquide”.
En effet, bien que le corps d’expertise du monde de l’art paraisse très fermé, comme nous avons pu nous en rendre compte au cours de notre enquête, l’expertise elle-même évolue avec ses acteurs. Pour analyser le Finson de Rome, Julie Ducher estime que moins d’individus faisaient autorité. “On écoutait moins de personnes alors qu’aujourd’hui on a une accumulation d’interventions”. Gianni Papi, qui s’est prononcé contre l’authenticité du tableau, compare aussi la situation actuelle aux années 1950. A l’époque, Roberto Longhi faisait autorité. Cet historien a lancé la redécouverte des peintres de la Renaissance au XXème siècle. Il a été le premier à redécouvrir les oeuvres du peintre, à les mettre en valeur et à leur donner leur résonance actuelle. Lui, quasiment seul, décidait de ce qui était Caravage ou ce qui ne l’était pas.
Toutefois, aujourd'hui n’importe qui peut se prononcer sur un tableau, muni d’arguments solides. Ainsi, Papi affirme que “tout avis fait en bonne foi est un avis à prendre en considération”. Il estime aussi que l’agitation médiatique autour des tableaux du Caravage est très grande et que les journalistes mettent souvent en scène des controverses plus violentes qu’en réalité. Enfin, les “profanes” sur internet (ex: Agoravox) se déclarent parfois experts à travers leurs expériences parfois principalement virtuelles et leurs observations. James BradburneJames Bradburne milite pour l’acceptation des profanes dans les débats d’authenticité. Il déclare en février 2017 au magazine La Croix1 :
"Je défends l’idée d’un musée citoyen. Il me paraît essentiel de rendre public ce débat, d’inviter les visiteurs à juger sur pièces, au contact direct des œuvres. La recherche ne peut pas toujours s’opérer dans l’ombre."
Les interventions des profanes laissent paraître la “liquidité” du monde de l’expertise et la perméabilité de la controverse à des acteurs à tous les niveaux. Par conséquent, notre enquête nous a fait découvrir un monde de l’art très particulier : les experts stylistiques restent en huis clos et argumentent leur crédibilité à travers leur ressenti de l’oeuvre, notamment au premier contact, tandis que de plus en plus de “profanes” s’immiscent dans la controverse et donnent leur avis après de simples observations du tableau, parfois même sur internet. Tous se basent sur une analyse personnelle et presque sentimentale de l’oeuvre. D’autres acteurs refusent cette “sentimentalité” dans leur travail.
Il existe sur AgoraVox des dizaines d'articles rédigés par des "profanes" sur le sujet "Caravage". Beaucoup débattent de l'authenticité de ses tableaux.
Source: www.agoravox.fr
Pour Chantal Ouairy, le tableau est clairement un objet d’expertise et son authentification ne peut se limiter à l’observation simple de l’oeuvre. Chantal Ouairy est une technicienne, elle dirige l’entreprise d’imagerie scientifique Archipel. Nous la rencontrons dans son laboratoire, situé dans une cave tout près de Sciences Po. Elle décrit son rôle comme “le travail qu’on fait en premier dans une étude, pour voir comment est l’œuvre, ce qu’il y a dessous”. Son travail consiste ainsi à “partir de la surface de la couche picturale pour aller le plus profond possible”. La méthode permettant l’analyse des éléments en surface est l’utilisation des UV (en nanomètres, entre 306 et 400 nm), puis des infrarouges leur succèdent, à 750, 850 et 950 nm. Ces différentes longueurs d’onde permettent de “rentrer plus ou moins profondément dans la couche picturale”, puisqu’en fonction des dessins sous-jacents, des motifs camouflés, des différentes couches de peinture, les “réponses” aux ondes sont différentes. Une technique complémentaire pour examiner les oeuvres est la “différenciation de couche”. Il s’agit d’un procédé simple, de photographie de l’oeuvre à l’appareil numérique. En observant l’oeuvre sans certaines teintes (successivement les couches cyan, magenta ou noires), certains éléments invisibles à l’oeil nu apparaissent, tels que certaines signatures.
Chantal Ouairy nous montre comment, en pratique, fonctionne ces techniques. Voici le tableau original (à gauche). Puis un second portrait inversé apparaît sur la radio.
Source: www.archipel-art.com
D’autres cabinets d’expertise et d’authentification préconisent l’utilisation d’autres techniques pour analyser un tableau. Art Expertise est un cabinet d’expertise américain, dirigé par Mark qui produit des certificats d’authentification d’oeuvres Au-delà des analyses effectuées par le cabinet Archipel, Mark utilise d’autres techniques. Par exemple, la datation du tableau peut être effectuée par carbone 14 ou par analyse chimique des pigments. L’analyse au carbone 14 donne une fourchette de temps, indiquant que l’oeuvre a environ 75% de chances d’avoir été réalisée à l’époque indiquée. Pour Julie Ducher, c’est un outil intéressant, mais très limité. L’analyse des matériaux, dont les pigments, permet de déterminer des dates butoir : le bleu de Prusse a par exemple été inventé en 1730, il n’a donc pu être utilisé avant. Pour le Caravage, il n’existe pas de telle “date butoir” mais l’oeuvre est unanimement datée du début du XVIIème siècle. Toutefois, aucune technique existante ne permet de déterminer la date exacte de la création de l’oeuvre. Pour Mark, il est possible de se prononcer sur l’authenticité du tableau. A la place de Julie Ducher, il aurait fait une “analyse morelienne”2 .
Les institutions publiques ont aussi à se prononcer sur l’authenticité de Judith et Holopherne. Elles incluent les sciences dites “dures” dans leurs expertises. Nous avons donc cherché à rentrer dans les ‘laboratoires’ du monde de l’art.
Le C2RMF est le Centre De Recherche des Musées de France . Il possède un laboratoire, accolé au Louvre, sous le jardin des Tuileries. Le C2RMF accompagne des projets de restauration et d’authentification. Le laboratoire, récent, est issu d’une volonté politique et d’une collaboration entre le CNRS et le C2RMF. Cela manifeste le fait que les sciences sont de plus en plus présentes dans l’expertise.
Nous rencontrons d’abord Didier Gourier , scientifique du CNRS, co-dirige le laboratoire du C2RMF avec Michel Menu. Nous nous entretenons avec lui à Chimie Paristech (Ve), où il nous explique toutes les techniques qui lui permettent concrètement de se prononcer sur l’authenticité d’une oeuvre. Il nous décrit précisément son bijou : l'Accélérateur Grand Louvre pour l’Analyse Elémentaire (AGLAE3 ). Bien que AGLAE ne soit limitée qu’aux oeuvres sans matières organiques, pour lui, un jour, la machine pourra authentifier une oeuvre.
Une semaine plus tard, au C2RMF, nous rencontrons Michel Menu . La direction du laboratoire du C2RMF est bicéphale : lui est attaché au ministère de la Culture tandis que Didier Gourier est rattaché au C2RMF. Pour lui, le laboratoire veut “combiner iconologie savante du XXe siècle et l’approche matérielle et technique” pour notamment décrire la “chaîne opératoire” du tableau, ou ce que Philippe Walter nomme le “processus de création ”. Les scientifiques du laboratoire apportent des réponses aux conservateurs. Les techniques de laboratoire, et même AGLAE sont des “substituts mécaniques aux capacités d’observations humaines4 ”. C’est ce qui nous fait parler d’une “objectivité mécanique”.
Un autre acteur qui préconise l’utilisation des sciences pour une authentification plus mécanique et par extension plus ‘objective’ est Jean Penicaut . Ce dernier a fondé l’entreprise Lumière Technology. Nous le rencontrons sur son lieu de travail, dans un sous sol située sur le boulevard Saint-Germain. Il prend le contre-pied des institutions comme le C2RMF ou l’UPMC : pour lui, ces institutions reconnaissent pas le travail des “privés”. Il croit en l’objectivité mécanique, en se basant sur des statistiques. Pour lui, “on peut démontrer statistiquement que c’est de la même main”. Et ce “de manière totalement objective”. De manière quantifiable, il estime pouvoir “révéler la personnalité du peintre”. Ainsi, l’attribution est “mécanique”, et elle est permise par l’utilisation d’une caméra multi-spectrale - une Jumbo Cam à la pointe de la technologie, qui vaut 200 000 euros.
"Révéler la personnalité du peintre" (Jean Penicaut)
Nous remarquons que tous les acteurs ont conscience de l’évolution de l’expertise en art. Marc Labarbe, Julie Ducher et Gianni Papi évoquent d’abord leur instinct, puis reconnaissent l’importance de l’imagerie et de la chimie dans leur analyse. Pour Marc Labarbe, commissaire priseur, “la science a investi le terrain”. Cela se répercute dans le droit : la décision de la Cour d’Appel de Paris [23 mars 2011] infirme partiellement l’avis des experts se basant sur une expertise stylistique, au profit de chimistes. Réciproquement, ceux qui utilisent une “objectivité mécanique” concèdent les limites de leurs techniques. Pour Chantal Ouairy, le “fin mot revient à l’expert”. Et pour Michel Menu, “la matérialité elle même ne permet pas répondre à la question posée par le Caravage”. De plus, à toutes les étapes de l’analyse de l’authenticité d’un tableau (machine learning, nombre et choix des oeuvres numérisées, …) l’humain reste particulièrement présent.
C’est en effet une de nos questions principales dans tous nos entretiens “à long terme, les techniques scientifiques parviendront-elles à s’imposer par rapport à l’analyse stylistique ?”.
La confiance des acteurs dans ces différentes techniques scientifiques varie selon la personne interrogée. Mark de chez Art Expertise nous donne le pourcentage d’ADN que tous les humains ont en commun (90%). Cela appuie son hypothèse qu’au bout de 4 générations, il est impossible de comparer l’ADN obtenue sur un tableau à la descendance d’un peintre. Or pour Didier Gourier, il est parfaitement possible de comparer de minuscules parties de l’ADN. Ainsi, même les techniques “scientifiques” et leur infaillibilité ne font pas consensus, ce qui permet de penser que les experts en art ont encore un certains nombres d’années devant eux avant d’être véritablement menacés.
Une des techniques scientifiques encore très débattue et non-fonctionnelle pour le moment est celle de l’analyse par algorithmes. Pour le moment, de nombreux experts ne s’y fient pas, à l’image de Julie Ducher, qui nous déclare :
"Pour moi, il y a des choses qui échapperont toujours aux machines et qui resteront du domaine de l’œil humain."
Toutefois, de plus en plus de scientifiques se penchent sur la question. Un article de R.P. Taylor & Al a retenu notre attention, à propos de l’authentification des oeuvres de Pollock à l’aide de géométrie fractale. Dans le cas de Jackson Pollock, l’authentification est rendue complexe par la nature même des oeuvres: des jets de peinture et des tâches difficilement identifiables. Cette technique permet également de dater l’oeuvre, puisque les fractales diffèrent selon les époques de la vie du peintre. Enfin, chez Art Expertise, Mark relève les précédents échecs de l’utilisation d’algorithmes pour l’authentification d’une oeuvre. Néanmoins, ce constat n’empêche pas l’entreprise de partager ses données, dans le but de construire une banque d’images, utilisable par un algorithme. La constitution de telles banques d’images se fait dans un objectif de machine learning, un procédé qui permettrait de passer par des ordinateurs pour reconnaître l’auteur d’une oeuvre en la comparant à d’autres oeuvres qui lui auraient été précédemment attribuées.
Les scientifiques tentent de généraliser le mouvement de Pollock dans ses peintures et comparent des tableaux non identifiés aux fractales récurrentes.
Néanmoins, la majorité des acteurs reste persuadée que l’intervention humaine est nécessaire et capitale à une analyse juste. Didier Gourier, Julie Ducher, Gianni Papi (ce dernier n’a même pas connaissance de ce type d’algorithmes), ainsi que Mark de Art Expertise se rejoignent pour souligner l’imperfection actuelle de ces techniques. Chantal Ouairy relève la difficulté de créer ce type de bases de données car les musées et possesseurs des tableaux sont souvent peu enclins à partager leurs données ; entre les pays également des barrières peuvent exister. Ne serait-ce que dans la réalisation du machine learning, la machine serait impactée par l’homme et sa subjectivité : même lorsque ce type de base existe, elle n’est souvent que sur une période restreinte de l’oeuvre d’un artiste, ou concentrée sur une zone géographique précise. Chantal Ouairy concède toutefois que, dans un futur lointain, une collaboration globale pourrait permettre de construire ces bases.
Ainsi, à travers la réification de l’oeuvre et son analyse “mécanique”, certains experts tentent de construire une authentification plus proche de la “Vérité”. Toutefois, pour certains, quand bien-même l’authentification serait mécanisée, elle ne pourrait se réclamer d’une objectivité totale. Pour reprendre l’analyse de Christan Becy, lorsque les outils intermédiaires sont utilisés, leur fiabilité est aussi mise à l’épreuve. Une expérience ne peut contribuer à répondre à la question de l’authenticité que si elle confirme d’autres expertises.
Philippe Walter distingue trois types d’actions5 . D’abord, celle de l’historien, qui analyse la composition, la signification de l’oeuvre, à partir d'éléments historiques de la vie de l’auteur. C’est Julie Ducher lorsqu’elle estime que le tableau a trop “d’audace” pour être celui de Finson. Le Caravage n’a pas fait ce tableau à partir d’une commande, c’est visible par la violence présente dans le tableau. Les détails sanglants sont trop obscènes pour être l’oeuvre d’un copiste tel que Finson, dont le trait est plus fixé, moins vivant; cela s’accorde avec la biographie du Caravage, qui a vécu comme un assassin, un voleur toujours en déroute. Ensuite, celle du chimiste, qui analyse les étapes de réalisation et connaît l’évolution des oeuvres dans le temps. Enfin, il évoque les techniques d’imagerie, qui apparaissent tardivement (XXe). Chantal Ouairy utilise ces techniques d’imagerie, sans se prononcer sur l’authentification. Or il apparaît que cette catégorisation n’est pas toujours tenable.
Ces actions ne sont pas hermétiques. Il n’y a pas d’un côté la “science” utilisant des objets mécaniques ; et de l’autre l’expertise d’art se basant sur des ressentis et des impressions et qui seraient moins fiables. En fait, toutes ces connaissances sont utilisées de manière plus ou moins équivalente afin de trouver une réponse à la question de l’attribution. De fait, il y a besoin d’avoir des éléments scientifiques (radiographies, images en haute résolution, analyse de pigments, analyses de lumière de M. Pénicaut…) confrontés à des éléments stylistiques (composition, couleurs, style…) et des éléments historiques (biographie, documents…) afin d’attribuer une oeuvre. Chacun peut poser un avis différent sur de même faits, puisque l’interprétation compte tout autant que les faits. Ainsi, un chimiste du laboratoire du C2RMF a le “coup d’oeil exercé” en chimie, mais aussi en expertise de l’art. Il pourra se prononcer sur les questions des conservateurs du Louvres, et vice-versa. Pour le Caravage, l’analyse stylistique va alors finalement trancher, car “l’analyse scientifique n’a pas été concluante” (M. Menu).Mais réciproquement, elle ne se base pas sur l’oeil nu de l’expert de l’art. Julie Ducher s’appuie sur l’IR du tableau pour prouver l’existence de repentir [cf II. C.]. Les infrarouges, les rayons X, ne permettent pas d’échapper à la subjectivité, car l’analyse reste humaine. Notre controverse s’inscrit donc dans un cadre où les connaissances sont symétriques, c’est-à-dire que plusieurs types de connaissances se confrontent et se complètement dans le même cadre. La légitimité des différentes techniques est à l’image de l’objet d’étude : unique.
Toutefois, malgré cette symétrie de compétences théorique, les acteurs sont souvent opposés quant au verdict à rendre, tout en s’appuyant sur les mêmes preuves. Par exemple, Julie Ducher suppose qu’il “n’y a pas tellement d’éléments qui puissent aller contredire complètement [son] analyse”. Quand bien-même un dessin au crayon aurait été présent sous la toile, bien que l’on sache que Le Caravage ne traçait pas ses oeuvres avant leur réalisation, “on aurait pu dire, ‘Le Caravage a dessiné au crayon !’”. Pour Julie Ducher, les études scientifiques ne sont pas "déterminantes" dans l'authentification et l'attribution d'une oeuvre.
"les études scientifiques servent surtout à convaincre ceux qui critiquent notre point de vue sur l’authenticité de l’œuvre "
Ainsi, malgré la symétrie de connaissances des acteurs du monde de l’art en théorie, se construit une hiérarchie, notamment entre les ‘scientifiques’ et les ‘experts stylistiques’. Cette hiérarchie se cristallise notamment autour de la notion de prise de responsabilité, déjà évoquée plus haut. Le travail de coopération entre les scientifiques et les conservateurs, de plus en plus fréquent se résume souvent par un “dialogue de sourds” (D. Gourier). Lorsque nous demandons si le scientifique est un “filtre” entre le fait brut et le conservateur, Didier Gourier nous répond que dans “l’idéal, c’est une coproduction”. Les scientifiques et les conservateurs partagent des connaissances. Néanmoins, au C2RMF, “le scientifique est au service du conservateur”. Les données brutes sont traduites par le scientifique pour le conservateur, mais ce dernier en fait ce qu’il lui plait. Michel Menu confirme cette analyse : “le conservateur peut décider d’utiliser les résultats scientifiques que si ça va dans le sens de sa conclusion”. Cela étonne d’abord Didier Gourier (et nous étonne aussi). Il travaille au CNRS, où le scientifique est au sommet de la hiérarchie du ‘laboratoire’. Au C2RMF, cette domination est ressentie par les scientifiques. Concrètement, si un conservateur estime que le tableau est de Caravage, il ne prendra en compte que les résultats scientifiques positifs. L’image interprétée et le statut du “conservateur-employeur” par rapport au “scientifique-employé” peut tendre les rapports au sein du laboratoire.
La situation est similaire dans les établissements privés. Chantal Ouairy estime que “le fin mot revient à l’expert”. Jean Pénicaut ne se positionne pas comme expert, mais comme “assistant d’expert”. Julie Ducher se définit comme une “expert généraliste”. Elle connaît Jean Penicaut, et nous dit par mail que ses machines “sont un formidable support pour consolider nos expertises, si besoin.” Le scientifique et les techniques d’imagerie sont donc là “si nécessaires”. Cette distinction entre spécialiste / généraliste se retrouve dans de nombreuses professions. Or souvent les professionnels dits “spécialistes” seront plus haut dans la hiérarchie que les “généralistes”. Dans les laboratoire du monde de l’art, le rapport de force s’inverse. Comme si le scientifique avait des oeillères. Or Didier Gourier nous affirme la capacité des scientifiques à se prononcer sur les demandes des conservateurs. Ainsi, même lorsque les scientifiques émettent un avis, celui ci n’est pas considéré comme prépondérant. Jean Penicaut aborde cette question via la question des diplômes. Pour lui, les rapports de domination s’établissent par l’intermédiaire de diplômes, qui rendent crédible un acteur - tel Philippe Walter, ou Michel Menu. L’institutionnalisation du statut d’expert permet de décrédibiliser les “outsiders”. Si Jean Penicaut met cet aspect en valeur, nous ne l’avons pas perçu au cours de notre enquête. Mais cette distinction généraliste / spécialiste est plus complexe entre les experts de l’art. Le cabinet Turquin est “plus fin” que les maisons de vente. C’est la raison pour laquelle Marc Labarbe fait appel à eux. En outre, les experts juridiques sont considérés comme très “généralistes”. Un expert auprès d’un tribunal va être “expert en art du XXe siècle”. Et pour Charles Cuny, ce statut de “généraliste” baisse la crédibilité des experts publics. Et finalement “ça paie mieux” d’être un expert indépendant qu’un expert près un tribunal. Charles Cuny, estime alors que ce ne sont donc pas toujours les meilleurs experts qui travaillent dans le public. De plus, selon Alain Quemin, le titre “d’expert en art” n’est pas protégé par la loi, chacun peut s’en prévaloir. Cela rejoint ce que nous dit Hélène Dupin dans sa conférence du 29 mars 2018.
L’ouvrage Objectivity de Daston et Galison nous permet de mettre en perspective notre travail. L’idéal d’objectivité est récent et s’est construit au fur et à mesure des avancées technologiques et scientifiques.
Source: In Objectivity, Daston & Galison, p371.
L’ensemble des acteurs tentent donc d’être objectifs, d’être dépourvu de partialité afin d’être légitimes quand à leur analyse et leur position dans la controverse. Cette légitimité leur permet de prouver leurs dires et de polariser le monde de l’art sur l’authentification.
Le processus d’authentification s’effectue sur l’ensemble des critères stylistiques, iconographiques, techniques, voire dans des laboratoires. Il s’agit de résoudre le problème du « disconnect » (Mark) entre le tableau et l’artiste (mort). Le « dévoilement » (J. Ducher) participe au processus d’authentification, sans apporter de certitude. Emettre un avis implique alors une prise de risque, une prise de position. En effet, la classification binaire « vrai » ou « faux » est artificielle et implique une prise de responsabilité. Rien ne dit que c’est un faux : peut-on prouver que c’est un vrai ?
Julie Ducher souligne l’importance du dévoilement de l’oeuvre, l'oeuvre livre en quelque sorte ses secrets. Alors qu’elle est restée pendant une centaine d’années dans un grenier, ou quelques mois chez des personnes qui la regardent sans réaliser sa vraie valeur (“C’est des choses qu’on avait sous les yeux mais on les voit pas”), l’expert d’art lui, va réussir à percer ses secrets. La découverte est alors le moment clé qui scelle le destin du tableau grâce au coup d’oeil de l’expert
“ le tableau parle de lui-même, au fond les études ne sont pas vraiment utiles ou du moins nécessaires” nous confie Julie Ducher
Gianni Papi et Mina Gregori la rejoignent dans leur valorisation du coup d’oeil et de leur rapport privilégié au tableau. En effet, Mina Gregori se prononce après seulement une visite au cabinet Turquin, en observant le tableau avant même qu’il ne soit nettoyé.
La photo nous a été envoyée par Marc Labarbe, le commissaire priseur qui a découvert le tableau chez des particuliers à Toulouse.
La façon dont le tableau lui parle au premier regard est donc déterminant. Le premier contact est presque plus important que toute étude ultérieure. Toutefois, les experts ne s’arrêtent pas à cette approche du “premier contact” avec l’oeuvre pour rendre leur verdict de manière générale. Souvent, ils réalisent en même temps une comparaison avec les autres tableaux qu’ils ont étudié. En cela, leur démarche se rapproche de celle de Jean Pénicaut, car lui aussi dévoile le tableau à travers l'utilisation de la lumière, des statistiques. Il parvient ainsi à saisir le coup de pinceau de l’artiste en comparant le tableau avec sa base de donnée. Le tableau se dévoile sous la forme de données mathématiques. Grâce à ses machines, il crée une “carte d’identité de la technique du peintre”. En saisissant chaque nuance de chaque oeuvre ajoutée à son catalogue raisonné, l’artiste n'a plus de mystère.
Finalement, le dévoilement de l’oeuvre est l’acte de collecter les information du tableau, quelque soit le mode d’appréhension de l’objet. On peut rapprocher cette démarche de celle que décrit Bruno Latour dans Le Pedofil de Boa Vista6 où la science est précisément définie comme la capacité à transformer des données brutes en énoncés compacts. Chacun des spécialistes parvient à sa manière à pénétrer l’oeuvre et à donner des indices pour ou contre son authentification.
Face au dévoilement d’une oeuvre, tous les esthètes n’ont pas la même importance. Le ressenti d’un expert est tout particulièrement écouté, car sa subjectivité est valorisée du fait de son expérience et de sa passion. La primauté du ressenti, de la “passion” de l’expert pose toutefois certains problèmes et rencontre de nombreuses limites. Comment se défaire des incertitudes ? Faut-il que le tableau soit “beau” pour être considéré comme étant d’un grand peintre ? Julie Ducher valorise cette “quête”, celle de “voir de belles choses”. Lors d’un colloque à la Cour de Cassation de 2017 7 où l’on évoque “le faux en art”, le président de la Chambre des Expert soutenait que l’expert doit d’abord se fier à son instinct. Ainsi, l’avis de Mina Gregori compte, parce qu’elle est considérée comme experte. Pour l’avocat Charles Cuny certains experts “ont l’impression de faire la pluie et le beau temps” et ne sont pas assez attentifs aux nouvelles techniques et aux nouvelles découvertes en histoire de l’art. Pour Jean Penicaut, c’est une question “d’humilité”. Judith et Holopherne pourrait être un “beau Finson” ou un “Caravage raté”, en fonction de ce que les experts ressentent du tableau. Ici, le discours quitte le domaine rationnel pour entrer dans le ressenti. Mais il s’agit d’avoir la capacité de ressentir. Le tableau ne se devoile pas à n’importe qui. Les spécialistes comme Gianni Papi semblent alors plutôt valoriser leur indépendance et donner leur avis sans contraintes. Ainsi, la part d’instinct dans le rôle du spécialiste est ce qui le rend si intouchable mais aussi sujet à la critique et au doute
La faillibilité de l’expert est inévitable. Il est donc nécessaire de se construire une crédibilité et de protéger sa réputation afin de conserver une place privilégié dans les controverses successives. Les spécialistes comme Mina Gregori et Gianni Papi doivent donc être prudent par rapport aux prises de risques, comme en témoigne la mise à l’écart de cette première. Les experts comme Julie Ducher ont une plus grande marge de manoeuvre car le droit les protège. Si jamais ils se trompent dans l’authentification alors que toutes les techniques concordent, ils ne peuvent être attaqués. C’est une obligation de moyens et en aucun cas de résultat qui leur est imposée. Seule leur réputation peut en souffrir mais ils ne devront pas offrir de dédommagements, une préoccupation majeure. Julie Ducher nous affirme que “[ce sont ] des procès où vous pouvez vraiment mettre la clef sous la porte”. Enfin, les scientifiques, ne donnant pas tellement d'avis sauf si éléments profondément contradictoires (pigments, datation), ne peuvent pas faillir : le fin mot de l’histoire revient à l’expert, ils n’apportent que des éléments destinés à alimenter le faisceau de preuves.
Dans ce contexte on peut essayer de distinguer, comme Bruno Latour le fait dans La vie de Laboratoire,8 les différents niveaux d’énoncé que chacun des acteurs peut atteindre et tenter de gravir. Ces niveaux sont directement liés à la capacité d’un acteur à trancher et prendre une responsabilité claire. On peut alors fournir la grille suivante : quête”, celle de “voir de belles choses”. Lors d’un colloque à la Cour de Cassation de 2017 où l’on évoque “le faux en art”, le président de la Chambre des Expert soutenait que l’expert doit d’abord se fier à son instinct. Ainsi, l’avis de Mina Gregori compte, parce qu’elle est considérée comme experte. Pour l’avocat Charles Cuny certains experts “ont l’impression de faire la pluie et le beau temps” et ne sont pas assez attentifs aux nouvelles techniques et aux nouvelles découvertes en histoire de l’art. Pour Jean Penicaut, c’est une question “d’humilité”. Judith et Holopherne pourrait être un “beau Finson” ou un “Caravage raté”, en fonction de ce que les experts ressentent du tableau. Ici, le discours quitte le domaine rationnel pour entrer dans le ressenti. Mais il s’agit d’avoir la capacité de ressentir. Le tableau ne se devoile pas à n’importe qui. Les spécialistes comme Gianni Papi semblent alors plutôt valoriser leur indépendance et donner leur avis sans contraintes. Ainsi, la part d’instinct dans le rôle du spécialiste est ce qui le rend si intouchable mais aussi sujet à la critique et au doute.
Les acteurs ne sont pas aussi catégoriques selon leur position au sein du monde l’art. Plus un acteur prend sa responsabilité, plus il a tendance à monter dans la classification donnée ci-dessus. Nous cherchons à représenter cette relation sous forme de graphique en remarquant la place toujours spécifique des experts. Ils sont les seuls à pouvoir énoncer les éléments comme étant des faits. Nous remarquons une corrélation entre le fait énoncé (avec plus ou moins d’assurance) et la réputation engagée. Il s’agit en quelque sorte d’un jeu de spéculation et de bluff : tant qu’à énoncer un fait catégorique, l’acteur doit aller jusqu'au bout et mettre en jeu sa crédibilité et inversement.
Pour reprendre les mots de Marc d’Art Expertise, la controverse sur l’attribution est liée à un “disconnect” entre l’oeuvre d’art, physique, et son auteur, disposant de droit de propriété intellectuelle. Charles Cuny nous rappelle que la spécificité d’un tableau réside dans son essence physique “d’objet”. Mais ni la science, ni le droit ne peut se prononcer sur le style d’un peintre. Or dans notre cas, l’artiste est mort. La connexion entre l’oeuvre et son artiste est postérieure, artificielle, voire “forcée”. Les techniques prouvent que le tableau provient bien de l’école caravagesque. Il ne peut donc s’agir d’un faux au sens de contrefaçon et d’imitation frauduleuse. Pour Michel Menu du C2RMF, ce n’est pas un faussaire “habile” qui a fait le tableau. La question n’est donc pas tant l’authentification du tableau que son attribution au Caravage, à un élève du Caravage (“un Caravage d’atelier”, M. Menu). Est-ce un Caravage ? Est-ce un Finson ? La question de son authentification laisse la place au débat plus précis de son attribution. Finalement, il a une nécessité à s’exprimer en binaire : c’est un Caravage ou non. Il n’est pas satisfaisant de rester sur un doute même lorsque les différents acteurs ne sont pas d’accord. Il faut alors forcer la relation entre le peintre et le tableau ce qui justifie le terme de violence. C’est se faire violence intellectuellement pour résoudre le problème. Mais se prononcer implique aussi une prise de responsabilité.
Cette polarisation des acteurs sur un axe “vrai/ faux” s’accompagne d’autres prises de position. Tandis que dans les experts scientifiques et stylistiques s’efforcent de dévoiler le tableau, les prises de position des acteurs et des arbitres “voilent” la controverse, c’est à dire la stabilisent artificiellement. Une troisième analyse permet de situer les acteurs dans un graphique en 3D: certains se fondent principalement sur un type d’objectivité quantitatif (nombre de tableaux vus par l’expert au cours de sa vie, …) quand d’autres valorisent une “objectivité qualitative” par analyse du tableau lui-même. Ces axes sont schématiques et l’analyse qui en est faite ne généralise pas les zones où se sont placés les acteurs : il ne s’agit que d’un outil analytique pour représenter les acteurs les uns par rapport aux autres.
La connexion ‘forcée’ entre l’oeuvre et l’artiste se fait par l’intermédiaire de multiples acteurs. Ils prennent position et engage leur responsabilité. Bien que l’oeuvre de l’artiste soit “révélée” (Art Chimie, P. Walter9 ) par les techniques, déduire l’authenticité du tableau à partir de ces données, c’est “entrer dans la polémique”, comme le dit Chantal Ouairy. “Notre responsabilité est engagée sur le fait de fournir nos observations”. Elle ne souhaite pas donner d’avis au delà de ses simples observations purement, selon elle, objectives. La responsabilité revient donc aux experts. Le cabinet Turquin, par exemple, affirme la connexion entre la peinture et Le Caravage. C’est une prise de risque qu’Eric Turquin prend avec ses associés: il engage sa responsabilité, et par extension sa réputation. En effet, Julie Ducher nous explique :
“on garantit tout ce qu’on présente en vente publique pendant plusieurs décennies. On s’engage vraiment, pas sur une estimation [...] mais sur l’identification du tableau”.
Ainsi, au delà de l’authentification du tableau, le cabinet Turquin identifie le tableau comme étant du Caravage. Cependant, le cabinet “ne peut garantir une vérité”. Il cherche à être au plus juste, en fonction des connaissances et des moyens disponibles. Charles Cuny nous expliquera la nuance juridique : en effet, l’erreur et la faute ne sont pas du même ordre. Compte tenu des éléments disponibles à un moment M, le cabinet se prononce en faveur de l’attribution au Caravage. D’autre part, les acteurs ne s’engagent pas tous de la même manière. Pour Michel Menu, en “bref, on est amené à faire ces examens avant acquisition pour rassurer le conservateur, on lui certifie que les matériaux sont compatibles avec la date présumée”. Cette compatibilité permet de conforter les “convictions” des experts pour Julie Ducher. Finalement, le conservateur prend la responsabilité ultime de présenter le tableau comme un authentique. James Bradburne est le premier à inclure le tableau Judith et Holopherne dans son musée. Si cette décision lui vaut des critiques, elle n’est pas déontologiquement remise en question. Lui, James Bradburne, considère que ce tableau est du Caravage. Il prend donc la responsabilité de l’exposer comme tel. Ainsi, les acteurs qui engagent le plus leur responsabilité, lorsqu’ils se prononcent en faveur ou en défaveur du tableau, ne revendiquent pas de pleine objectivité. La dichotomie entre responsabilité et objectivité est un point essentiel dans le processus d’authentification de l’oeuvre d’art. Mais cette prise de risque ne répond pas à la question. Elle engage même un débat contradictoire : après la décision de James Bradburne, l’affaire est médiatisée et de nouveaux acteurs se prononcent sur l’authenticité du tableau.
Le processus d’authentification se déroule donc par étapes successives, par phases. Mais il s’agit toujours de reconnaître le peintre dans son tableau, et de reconnaître le tableau comme étant celui du peintre. Pour Jean Penicaut, la connexion entre l’artiste et le tableau passe par le geste. Mais quel geste ? Pour retrouver le geste, il se base sur des tableaux attribués au Caravage dans le passé ! De fait, le mythe de l’artiste, sa biographie se co-construisent au fur et à mesure des authentifications et des attributions. Ainsi, ce Judith et Holopherne ne remet pas en cause la biographie du Caravage au vu des documents retrouvés. Mais cela modifie les rapports présumés avec Finson. C’est lui qui “hérite du tableau” pour Julie Ducher. Elle formule des hypothèses sur le tableau en fonction de ses connaissances sur le peintre. On peut également imaginer des tableaux qui remettent en cause la biographie classique, ou du moins précédente, de certains auteurs. De fait, la légende (plus que l’histoire) autour d’un artiste se fait et se défait au gré des analyses holistiques et des catalogues raisonnés. La “connexion” entre l’artiste et son oeuvre est un point essentiel du travail d’authentification. les catalogues raisonnés sont des inventaires - les plus exhaustifs - des oeuvres et des éléments de la vie de l’artiste. Ils sont souvent garantis par les ayant-droits (les héritiers) des artistes, et sont utilisés par les conservateurs, les historiens de l’art, les commissaires priseurs… Ainsi, l’artiste est défini comme la somme de ses oeuvres. Réciproquement, la comparaison avec ses oeuvres “authentifiées” permet d’attribuer un tableau au Caravage. Si Judith et Holopherne est attribué au Caravage, il redéfinit l’artiste : Caravage peint avec audace, peint en double, ou peint un brouillon. Est ce que le tableau de Rome est une copie ? ou est ce le chef d’oeuvre ?
Toutefois, cette polarisation ‘forcée’ suscite une question primordiale : est-il véritablement possible de trancher quant à l’authenticité d’un tableau ? Dans l’agitation de la controverse, peut être les acteurs omettent-ils un élément capital : la notion d’artiste a fortement évolué au cours de l’histoire et notre volonté d’attribution est peut être en réalité anachronique. Cette réflexion se retrouve dans une évidence au premier abord : le tableau ne présente pas de signature. Cette observation semble si intuitive (Caravage ne signait jamais ses tableaux) qu’elle ne soulève plus aucun questionnement. Pourtant, l’apparition de la signature est liée à l’histoire de l’art, et l’histoire de l’artiste. Charlotte Guichard dans “La signature dans le tableau” 10 explique que la signature apparaît au XIXe siècle, avec les questions d’authentification. L’artiste se distingue totalement de l’artisan avec la création d’un marché de l’art. Tant est si bien que l’identité de l’artiste devient plus importante que l’image représentée. C’est d’ailleurs le cas pour le Caravage. Il convient de rappeler que le tableau vaut 120 Millions d’euros si c’est un Caravage, contre 1 Million si c’est un Finson (M. Menu). Or du temps du Caravage, au XVIe siècle, la position de l’artiste est encore floue. L’artiste reste un artisan. En poussant à bout cette réflexion, nous nous demandons si l’attribution au Caravage n’est pas un anachronisme. Cela serait appliquer des schèmes de pensée à des situations qui existaient avant ces schèmes et donc une incohérence intellectuelle. C’est un peu comme parler de luttes des classes sous l'Antiquité ou de développement durable à la Préhistoire, cela n’a pas vraiment de sens puisque les acteurs ne se posaient pas la question sous cet angle à l’époque. C’est encore une fois se faire violence que de réaliser cette opération. En outre, les artistes possèdent des ateliers. Le Caravage a des élèves, qui copient explicitement son travail. Louis Finson est son élève, mais aussi un marchand. Il serait même possible de pousser plus loin encore notre hypothèse et se demander si le tableau n’aurait pas été réalisé par un élève de l’école de Finson lui-même, dans l’hypothèse où l’attribution désignerait l’artiste comme père de l’oeuvre. Les ateliers sont courants à la Renaissance. Léonard de Vinci retouchait les tableaux de ses élèves. On attribue des tableaux à Léonard de Vinci lorsqu’il a fait 50%. En dessous de 10%, le tableau n’est pas attribué au peintre. La marge est importante. Et l’attribution est donc délicate. On se rend rapidement compte que la notion d’attribution n’a plus vraiment de sens ici et ne se fait qu’à cause d’impératif matériels. L’attribution à un artiste n’a pas le même sens au XVIe qu’au XXIe siècle.
De plus, si des éléments peuvent prouver qu’un tableau est un faux (une mauvaise datation, un pigment incongru), il est beaucoup plus complexe d’affirmer l’authenticité d’un tableau. Pour Julie Ducher, le “faisceau de preuve” indique que c’est un vrai. Pour Marc de Art Expertise, si ce tableau avait été un faux, des preuves de sa fausseté auraient été trouvées. Il estime que nous sommes dans un cas “de preuves circonstancielles agrégées”. Certaines critiques portent sur la régularité des rides. Pour Julie Ducher, cette critique peut être déconstruite de deux manières. D’un côté, les rides peuvent avoir été ajoutées après la réalisation du tableau. Le tableau bouge, Finson en hérite, puis lui-même disparaît en 1617. D’un autre côté, Le Caravage peut aussi peindre des rides laides ! Julie Ducher défend son point de vue. Elle dit “on nous a reproché”. Puis répond aux reproches, méthodiquement. La démonstration est logique. Les dates, les chiffres, les connaissances artistiques appuient son discours. Ici, il serait intéressant d’analyser les rides avec des outils aussi puissant que AGLAE. Cela permettrait de voir si une deuxième matière a été apportée par quelqu’un d’autre. Mais ce n’est pas encore possible.
Finalement, rien ne dit que c’est un faux. La chaîne de provenance du tableau n’entre pas en contradiction avec les théories des experts de l’art (cf I.A.). Ensuite, la datation se situe dans une fourchette de temps cohérente. Enfin, il n’y a pas de “pigment Caravage” ou de “pigment 1606” (daté de l’année 1606) qui permette d’attribuer le tableau au Caravage. Ici sont atteintes les limites des techniques chimiques. Si la chimie permet d’authentifier le tableau comme étant du XVIe, XVIIe siècle, elle ne permet pas de l’attribuer à Caravage. Marc de chez Art expertise nous demande si des incisions ont été retrouvées. C’est la première chose qu’il aurait cherché dans un tableau de Caravage. En effet, certains reprochent l’absence d’incision dans le tableau. Mais Caravage utilise cette technique plus tôt, entre 1600 et 1604. Et Julie Ducher nous dit avoir finalement trouvé des incisions dans le tableau, à l’aide des techniques d’imagerie. Ainsi, un même élément, une même preuve peut être interprétée de différentes manières. Se prononcer en faveur de “vrai” ou du “faux” implique une prise de responsabilité, un “voile” posé sur la question.
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Des repentirs sont présents. Il s’agit “d’erreur” du peintre, qui se manifestent par la superposition de couches. L’infrarouge permet de voir les repentirs : ce sont des zones plus sombres. Est-ce que leur présence, visible grâce aux techniques d’imagerie, confirment l’authenticité d’un tableau ? Ou bien s’agirait-il de copies malheureuses, ou encore de tentatives de faussaires ? Il n’existe aucun moyen de prendre position autrement que par une étude historique exhaustive de l’oeuvre et cette étude est nécessairement limitée par des contraintes externes. Gianni Papi explique ainsi que le seul moyen d’être certain serait de faire revenir le Caravage des morts et lui poser la question. Pour le C2RMF, “la découverte d’un repentir [...] permettra de conforter le statut d’original de ce tableau” en 2007, concernant un tableau de Poussin. Enfin, Julie Ducher nous montre sur l’infrarouge des preuves que le tableau retrouvé est fait dans le même rouleau de toile que celui de Finson. Cela prouve bien l’authenticité du tableau, mais pas son auteur. Mais Julie Ducher l’interprète comme une preuve de son attribution au Caravage. Ainsi, bien que parfois un élément vienne invalider l’authenticité de l’oeuvre, aucune “preuve” ne peut être suffisante à attribuer le tableau.
Par conséquent, la controverse, loin d’être unique et limitée à notre étude de cas est nécessaire et permet de polariser artificiellement les acteurs autour de positions opposées. La clôture de la controverse, qui ne peut se faire par la découverte du Vrai permet ainsi l’attribution du tableau à un artiste, malgré les limites que nous avons pu explorer dans cette partie. Pour Julie Ducher : “la controverse actuelle est finalement un peu classique”. Il y a comme un parcours obligé pour les oeuvres du Caravage donnant naissance à tout une famille de controverses spécifiques. La controverse prend de l’ampleur avec la la renommée du peintre et les sommes en jeu. On relève des controverses successives, apaisées jusqu'à l’apparition de nouvelles techniques. La question rappelle aussi celle du tableau de Poussin. Bernard Lahire étudie la controverse autour des tableaux de Poussin. Pour certains historiens, Poussin n’aurait jamais peint deux fois le même tableau. Pourquoi ? Le sociologue juge assez sévèrement les historiens, relevant le “manque d’argumentation” qui accompagne souvent ce genre d’affirmation. Chaque attribution de tableau étant un combat entre les acteurs pour définir ce qu’est le Caravage, et le Caravage étant hors de notre portée pour décrire son oeuvre, il est naturel que cette oeuvre fasse l’objet d’une controverse. Elle permet une ouverture de la parole sur un sujet qui aurait pu se régler en secret dans les sous sol du Louvre. Finalement, la spécificité du tableau Judith et Holopherne réside dans la quantité de certitude quant à son authentification, et la quantité d’incertitude quant à son attribution.
Le doute subsiste : est-ce un Caravage ? Les expertises successives ne tranchent pas. Or attribuer le tableau Judith et Holopherne, classé trésor national le 25 mars 2016, est une nécessité politique et sociale. Un tableau suppose un contrat : entre le vendeur et l’acheteur, entre les musées et les visiteurs. L’attribution est une question sociale, donc politique. Elle se déplace dans les institutions publiques. L’intervention du ministère de la Culture est exogène, imposant une sorte de moratoire à durée limitée. Néanmoins, les rapports sont tenus secrets ou restent très prudents, et la question de l’attribution n’est pas résolue.
L’organisation du monde de l’art, ses experts et ses institutions ne favorisent pas l’attribution définitive du tableau. Les situations d’asymétries d’information et la discrétion de certains acteurs rendent l’enquête autour du Caravage de Toulouse difficile.La culture est à la fois une sphère institutionnalisée, et une sorte d’entre-soi permanent. Les rapports de domination se structurent par assimilation à l'oeuvre ou au contraire, par rejet des "non-initiés" au monde artistique. Ces non initiés sont très présents puisque “tout le monde veut être un peu expert et a un avis sur tout” (J. Ducher). Les sommes d’argent possiblement engagées et la médiatisation de la controverse poussent un nombre croissant d’individus à se prononcer. Cependant, leur avis n’est pas toujours pris en compte pour des questions de réputation. Sur le site Agoravox, Emile Mourey 11 défend ainsi l’idée selon laquelle le tableau n’est qu’une première esquisse du tableau final mais reste un Caravage. Il cherche à être entendu par les “autorités compétentes”. Il nous écrit : “n’ayant pu me faire entendre auprès des experts du Louvre, vu qu’on me fait passer pour un farfelu”. Le sentiment d’être marginalisé du monde de l’art est palpable. Concernant le sentiment d’entre-soi permanent un exemple intéressant est celui de Marc Labarbe. L’une de ses premières questions a été de savoir si nous avions déjà parlé à Eric Turquin. L’une des premières remarques de Chantal Ouairy a été de dire que la majorité de ses travaux sont confidentiels. Presque tous les acteurs de notre controverses se connaissent. Tout cela est renforcé par la présence de la plupart des acteurs à Paris et qui pour la plupart sont germanopratins - exception faite de Marc Labarbe. La proximité géographique s’allie alors au faible nombre de spécialistes en identification de tableaux. D’après Julie Ducher
“Il n’y a que 7 experts d’art en peinture ancienne en France, concentrés sur Paris, d’où peut-être un sentiment de centralité dans le monde de l’art”.
Ce qui fait dire à Charles Cuny : “les experts qui pensent faire la pluie et le beau temps dans le monde de l’art”. Ce faible nombre est à la fois un danger car la possibilité de faire avaliser son travail par des pairs est plus difficiles mais c’est à la fois un atout pour les experts qui savent utiliser cet argument pour mettre en avant leur compétence et l’infaillibilité de leurs jugements. Pénétrer ces petits cercles, scientifiques comme artistiques, n’est pas chose aisée et cela passe par un nombre important de recherches, de contacts pris au sein de différentes sociétés, administrations…. On retrouve une symétrie entre les deux mondes des sciences et de l’art.
Le monde de l’authentification et de l’attribution des oeuvres d’art est donc soumis aux contraintes publiques et à un manque de coopération entre acteurs, chacun luttant pour défendre son domaine de prédilection. A cela s’ajoute un fort degré de secret professionnel et des situations dans lesquelles les individus juge une oeuvre sans avoir toutes les cartes en main. Cette organisation ne favorise pas l’émergence de consensus sur les oeuvres et engendre des blocages que des institutions externes peuvent essayer de surmonter. Ainsi, à travers les nombreuses interactions à huis-clos et les interventions des institutions, le tableau Judith et Holopherne se construit non plus uniquement comme “couches de peinture” superposées mais également et surtout en objet de spéculation financière, bref, un contrat.
Le Caravage est hors norme de par son époque et sa valeur, ce qui ne permet pas au marché de l’art de le traiter comme n'importe quelle autre oeuvre. Le marché de l’art fixe la valeur d’une oeuvre et qui in fine valide l'authentification d’une oeuvre d’art. Lorsque l’Etat achète une pièce comme le tableau attribué au Caravage, la question du prix revient en premier dans les discussions. L’art est avant tout un marché, un marché avec ses barrières à l’entrée, ses règles. Hélène Dupin12 évoque ainsi un milieu de spéculateur ou la certification est la quête première. Elle souligne la place des maisons de ventes aux enchères, qui mettent l’ensemble des membres du marché en relation. Ces maisons de ventes ont une responsabilité légale, dans le cas du Caravage ce sont les experts du cabinet Turquin qui sont allés à la rencontre des commissaires priseurs et ont fixé ensemble la somme de 120 millions. En pratique, les commissaires remarquent des tableaux de particuliers, et envoient la photo à un expert plus spécifique, ce que fait Marc Labarbe. Il y a peu de grandes maisons de ventes aux enchères (Sotheby's, Christies) et sont donc en compétition directe. A chaque vente, elles jouent leur réputation et ne sont rémunérées que lorsque la vente est conclue. La maison de vente aux enchères est donc ce qui peut coordonner l’ensemble du système de l'authentification et ce sont donc ces entités qui peuvent ou non permettre à l’expertise scientifique de se développer ou non. Finalement, le prix exorbitant associé au tableau ne contribue pas à apaiser la question de son attribution au Caravage. Le peu d'éléments probants encourage les fantasmes quant à la possibilité de vendre un faux à 120 millions d’euro.
Enfin, les musées ont un également poids dans l’évaluation de la valeur d’un tableau, notamment au travers de leur pouvoir performatif, car exposer un tableau dans un musée national est une forme d’adoubement, de sacralisation implicite. Il existe en effet une sorte de contrat dans l’esprit des visiteurs : ce qui est présent dans un musée ne peut pas être faux. Cela contribue à donner du poids à l’attribution, bien que cela ne fait pas avancer le processus d’expertise. On s'approprie en partie une réputation n'ayant aucun lien avec le tableau.
C’est pour cette raison que l’on peut penser à une forme de contrat implicite entre les musées et les visiteurs. Ces derniers se rendent dans les musées pour voir des oeuvres méritent d’être vues, authentiques et authentifiées. Le visiteur a implicitement confiance dans les étiquettes qui accompagnent une oeuvre. Par conséquent, le musée possède un pouvoir performatif au vu de ce contrat implicite. Lorsque James Bradburne décide de prendre Judith et Holopherne et de l’exposer à la Pinacothèque de Brera, l’un des plus grands musée d’Italie, cela contribue indirectement au processus d’attribution. Cet acte ne s’accompagne pas nécessairement de plus amples recherches sur le tableau. Dans le film F for Fake d'Orson Welles13 , le personnage principal, un faussaire nommé Elmyr de Hory interprété par le véritable faussaire Elmyr de Hory prononce alors ces mots “Si mes tableaux sont exposés assez longtemps dans un musée : ils deviennent vrais !”.
Bernard Lahire14 décrit ce phénomène comme partie prenante de l’attribution :
"Un objet culturel n’existe que saisi par des discours, des grilles de classification, des épreuves, des procédures et des institutions qui l’enserrent et s’en emparent."
En effet, ce phénomène est une sorte de sacralisation de l’oeuvre: l’objet passe du statut “d’objet matériel” à celui de “chef-d’oeuvre”. Cette sacralité se manifeste lorsque nous n’osons pas toucher un tableau. De même, Eric Turquin a littéralement dormi avec le tableau pendant une année. Comme le rappelle Bernard Lahire “à travers l’histoire d’un tableau, on peut donner à voir quelques structures fondamentales de nos formations sociales”: il y a une mécanique de domination observable dans les mécanismes d’authentification des oeuvres. Ces observations rejoignent les réflexions à propos de la production d’une hiérarchie dans le monde de l’art entre les experts, les musées ou le ministère de la culture, capables de prendre la responsabilité d’affirmer l’authenticité des oeuvres, qui dominent les scientifiques. En se revendiquant “objectifs”, ils ne peuvent prendre cette responsabilité. La confiance que placent les visiteurs dans les musées rejaillit indirectement sur le tableau Judith et Holopherne. Loin de faire avancer l'enquête et la réunion de plus de preuves, cela permet néanmoins de conforter les résultats du cabinet Turquin pouvant se prévaloir d’un début de reconnaissance officielle.
Lorsqu’une vente pose problème, les acheteurs et les vendeurs peuvent se tourner vers les tribunaux. Or ces derniers ne sont pas spécialisés dans l’authentification des oeuvres d’art et appliquent leurs propres schèmes de pensée à un secteur qui ne fonctionne pas exactement de la même manière. L'attribution par la justice est donc très différente de l’attribution pratiquée couramment par les experts et le marché. De même, son fonctionnement est différent puisque la décision de justice a vocation à statuer définitivement sur la nature d’une oeuvre d’art. Or les techniques évoluent et de nouveaux résultats font surface avec le temps, pourtant la justice ne peut rouvrir l’affaire une fois les différents appels entendus. L’expertise traditionnelle quant à elle n’est valable que pour une certaine période et à un certain moment. Charles Cuny nous indique que lors d’un colloque, le Président de la Chambre des Experts de la Cour de Cassation a estimé que c’était essentiellement l’intuition de l’expert qui devait prévaloir. La justice, en tant qu’institution publique, est normalement capable de définir ce qui est juste de ce qui ne l’est pas et ce qui est vrai de ce qui est faux. Le marché ne doit pas l’affecter ou sinon un minimum. Or la justice affecte les acteurs marché, plus que la relation inverse. En effet, les acteurs rencontrés interviennent peu en justice. Lorsqu’un vendeur ou un acheteur saisit la justice, le marché de l’art s’arrête quelques instants pour l’oeuvre considérée. L’oeuvre obtient un statut particulier qu’elle ne perdra jamais : il y a eu des doutes et ils ont été formulés expressément. C’est un peu comme une tâche de marqueur indélébile. L’oeuvre passe alors devant des experts et une personnalité externe, le juge ou le jury rend un avis motivé.
Pour Chantal Ouairy “Ils nomment des experts et les experts demandent de faire des analyses scientifiques. Donc là c’est eux qui nous contactent pour faire les études. Souvent c’est des regroupements d’experts.”
L’avis n’est pas forcément suivi par le marché mais ce que formulent les experts est bien plus analysées à la fin du procès. La justice est un moyen de mettre tous les individus spécialistes du tableau pour discuter ensemble - ce qui n’arrive pas souvent. C’est une sorte de super colloque, comme le souligne Samuel Butt15 puisque l’avis du juge ne compte plus vraiment à la fin du procès et arrive après tous les éléments d'expertise. Le marché se sert donc de la justice comme d’une forme de congrès d’experts et ne sert pas vraiment de l’avis final. Les tribunaux ne sont cependant pas les seuls à tenter de réguler le marché de l’art. Le ministère de la culture s’insère aussi dans le commerce des oeuvres, en influençant leur expertise, consciemment ou non.
Un trésor national est un bien culturel présentant un intérêt majeur pour le patrimoine français. Officiellement, un trésor national est un bien qui fait l’objet d’un refus de certificat d’exportation qui empêche temporairement sa sortie du territoire national. Marc Labarbe nous explique comment l’Etat est intervenu. Le cabinet Turquin et lui-même ont voulu vendre le tableau à l’étranger. Ils font une demande de sortie du territoire, qui doit s’accompagner d’une publication dans le Journal Officiel. Lorsque la présence d’un potentiel Caravage sur le sol français est connu “L’Etat dit STOP”. Le ministère de la Culture refuse par arrêté le 25 mars 2016 le certificat d’exportation, “attribué possiblement” au Caravage. Le langage est prudent, et la “grande valeur artistique” fait du tableau un véritable “trésor national”. Le ministère de la Culture se laisse le temps pour attribuer ou non le tableau au Caravage. Julie Ducher résume la situation : “on verra”.
Par arrêté de la ministre de la culture et de la communication en date du 25 mars 2016, est refusé le certificat d'exportation demandé pour un tableau attribué possiblement à Michelangelo Merisi, dit le Caravage, Judith et Holopherne, huile sur toile, 1600-1610, cette œuvre récemment redécouverte et d'une grande valeur artistique, qui pourrait être identifiée comme une composition disparue du Caravage, connue jusqu'à présent par des éléments indirects, méritant d'être retenue sur le territoire comme un jalon très important du caravagisme, dont le parcours et l'attribution restent encore à approfondir.
Le trésor national ne signifie pas une interdiction de vente - que le ministère de la Culture ne peut pas se permettre - mais une interdiction de sortie du territoire pendant 30 mois. L’Etat a ensuite l’opportunité de faire une proposition d’achat. Le prix est celui du marché. Dans notre cas, si le tableau est de Caravage, il vaut 120 Millions d’euros. Or les musées de France ne disposent pas d’une telle somme. Et pour Michel Menu, le Louvre “n’a pas besoin” d’un autre Caravage. Par ailleurs, l’Etat a un devoir de conservation du patrimoine mais également de précaution. Nous retrouvons ces valeurs dans les missions attribuées au C2RMF, agence du ministère de la Culture. Nous retrouvons aussi la même prudence dans les rapports du C2RMF. Le marché attend un résultat binaire. C’est un vrai : il vaut 120 Millions d’euros. C’est un Finson : il vaut “seulement” 1 million d’euros. C’est un faux : il ne vaut rien. Il n’est pas possible de faire des approximations dans ce cas. Cela encourage les institutions à prendre une position et à s’y tenir fermement. Le refus d’admettre qu’il y a des doutes peut alors avoir des conséquences embarrassantes médiatiquement. Par exemple, le MOMA a exposé des faux Andy Warhol pendant plusieurs années.
Le tableau du Caravage sort des cadres habituelles de l’attribution et de l’authentification. Cependant, au vue de la nécessité d’obtenir un résultat binaire, les acteurs ont besoin d’une intervention exogène pour clore le débat. En pratique, une commission consultative examine les propositions à partir des rapports scientifiques des oeuvres rédigées par les conservateurs du patrimoine. La composition de la commission est énoncée par le Code du Patrimoine. Il y a plusieurs membres de droits, du ministère de la Culture ou de la Recherche. Cela fait dire à Julie Ducher que la Commission est “avant tout politique”. La commission se compose aussi de 6 personnalités qualifiées nommées pour 4 ans au ministère de la culture. Charles Cuny nous précise que les experts sont sans doute des experts judiciaires, et qu’ils se prononcent sur chaque cas. Leurs compétences généralistes sont implicitement remise en question par l’avocat. Toutefois, ces experts font souvent appel à des entreprises privées comme Archipel (C. Ouairy), en partie à cause d’un manque de moyens et de temps. Globalement, la capacité des institutions publiques, politiques ou juridiques à se prononcer sur l’authentification d’un tableau est remise en cause, mais jamais frontalement.
En outre, nous questionnons tous les acteurs sur le trésor national. Aucun ne s’oppose à la décision de refus de certificat d’exportation. L’intervention de la justice et de l’Etat est nécessaire, même si elle est limitée. Julie Ducher nous dit ne pas avoir été au courant de la tenue de cette Commission. Elle dit avoir appris dans la presse que le tableau était classé comme trésor national. C’est une “décision politique, prise par des fonctionnaires”. Cela “valide le fait que ce soit un tableau important”. D’un autre côté, le but du cabinet Turquin est de vendre le tableau comme un Caravage. Le classement comme trésor national “freine” la vente, et pèse financièrement sur la cabinet, chargé d’assurer la sécurité du tableau. Ils ont ainsi investi dans un coffre à reconnaissance faciale. Et il y aura toujours un doute sur son authenticité. Au final, peu importe si l’Etat propose d’acheter le tableau ou non, le doute persiste. Cela fait dire à Michel Menu : “Moi, je ne l’achèterais pas”. A ce moment précis, Michel Menu se dissocie de son institution.
Pour le cabinet Turquin, il faut être le moteur du décloisonnement de la controverse afin de gérer la communication sur l’oeuvre. Ainsi, après le refus d’exportation et le statut de trésor national, Eric Turquin a organisé une conférence de presse. Marc Labarbe explique ainsi que, lorsque le journal des arts de Didier Rykner sonne l’alerte de la sortie d’un Caravage du territoire français, “on a organisé une conférence de presse dans l’urgence pour ne pas perdre l’annonce du tableau au grand public, d’où la conférence le 16 avril”. Il s’agit alors de prendre le premier mot, pour avoir le dernier mot. Turquin devient l’interlocuteur favori des journalistes. La médiatisation est particulièrement importante, de par l’histoire de l’oeuvre, sa valeur présumée et l’incertitude profonde des spécialistes. Eric Turquin donne de nombreuses interviews, notamment dans des journaux généralistes. Eric Turquin et Marc Labarbe jouent de ce rôle acquis en engageant leur responsabilité publiquement et en essayant ainsi de clore la controverse. Ils expliquent qu’il n’y a pas de doute possible dans les différents entretiens réalisés.
Selon son associée Julie Ducher, “C’est la philosophie d'Eric Turquin : Il faut assumer, être responsable, dans les deux sens”. Ainsi, “quitte à avoir une parole à prendre autant ne pas la donner à quelqu’un d’autre, et il a raison. Prendre la parole publiquement, ça peut servir à se défendre aussi.”
Le cabinet Turquin est en effet la cible d’attaque à cause de sa position tranchée. Pour assurer leur crédibilité, ils communiquent donc de manière intensive sur la controverse grâce à “une attachée de presse qui s’occupe de [leur] section d’affaires”. En revanche, les autres acteurs dits ‘scientifiques’ sont bien moins médiatisés. Une fois de plus, il s’agit d’une différence née de la responsabilisation des experts stylistiques a contrario des experts scientifiques: Chantal Ouairy dit ainsi que “[les scientifiques] intéressent moins [les journalistes]” car ils se “mouille[nt]” moins. Ils sont seulement consultés pour donner leur avis. De ce point de vue, le C2RMF tient une position ambiguë.
Le C2RMF est une agence à compétence élargie, qui dépend donc directement du ministère de la Culture. La hiérarchie institutionnelle nous est expliquée par Didier Gourier. Lui est du côté du CNRS, et collabore avec Michel Menu au sein du laboratoire du C2RMF. Le laboratoire subit la “pluralité des tutelles”, notamment au niveau des finances. Lorsque le laboratoire demande un accès à une eau désionisée, il se heurte au refus du Louvre. Le laboratoire n’accueillant pas de touristes, il n’est pas prioritaire. Aussi, les scientifiques restent influencés par les conséquences de leur travail sur le tourisme. Alors que pour Michel Menu, son laboratoire est certes “au Louvre” mais ce n’est par le laboratoire “du Louvre” ! Ses deux missions de service à compétence nationale sont : expertise et authentification, puis conservation et restauration. Le statut public du C2RMF le protège, notamment des “pot-de-vin”. En octobre 2015, le tableau est confié au C2RMF. Il est comparé à celui de Rouen (Le Christ à la colonne). Les experts et historiens présents ne trouvent pas d’incompatibilité. Pour Michel Menu, la réunion n’est “pas secrète” mais “les résultats sont secrets”. “Y’a un vocabulaire bien choisi.” Au cours de l'enquête, l'accès aux laboratoire et au rapport du Louvre ont été les démarches les plus compliquées. Didier Gourier l’explique par la distinction entre les “publication scientifique” obligatoire et les “rapports” confidentiel lorsque c’est une affaire d’Etat.
La spécificité du tableau Judith et Holopherne réside aussi dans le secret qui l’entoure. Comme nous l’avons vu au cours de la controverse, les institutions, d’abord exogènes, s'insèrent dans le monde de l’art et bouleversent les rapports entre les acteurs. Mais si le tribunal doit prononcer un verdict, le C2RMF n’est pas tenu de se prononcer systématiquement. Le cabinet Turquin n’a jamais eu accès au rapport du Louvre de 2015 sur l’oeuvre. Pour Julie Ducher, “les fonctionnaires, c’est à dire les conservateurs, ont un droit de réserve”. Elle dit être habituée à “ce type de collaboration bizarre” : une situation d’asymétrie d’information. L’asymétrie d’information est permanente. Dans le cas du tableau du Caravage, le cabinet a appris par la presse que le tableau est désormais Trésor national. Cette décision est prise à huis-clos par une commission suivant l’avis des conservateurs du patrimoine. Le fait de ne pas rendre public le processus de désignation entretient l’idée d’un monde fermé. Dans le cadre des acteur privés, le partage d’information est très peu pratiqué puisqu’il peut rapidement se transformer en un désavantage concurrentiel. Mais l’incertitude ne “gèle” pas la controverse. Le vocabulaire prudent laisse place à l’interprétation de chacun. Nous nous rendons compte des conséquences de ce silence et de l’influence du vocabulaire sur notre étude. Le silence du C2RMF peut être pris comme un secret. Dans ce cas, le tableau serait un “trésor caché”. D’un autre côté, ce silence sème le doute. Le tableau serait un faux. Nous commencions notre travail comme une “chasse au trésor”. Dans les premiers mois, nous sommes d’abord surpris par l’accessibilité des acteurs privés : Julie Ducher, Chantal Ouairy et même Gianni Papi nous ont répondu ! La désignation du tableau comme “trésor national” créée une situation privilégiée pour notre étude. Mais c’est aussi une de ses limites : le contact avec le gouvernement est difficile, les experts étant anonymes et les rapports secrets. Nous avons cherché à joindre les membres de la Commission se prononçant sur la désignation d’un bien culturel comme trésor national. Mais les personnalités désignées ne répondent pas à nos mail, ou nous renvoient vers d’autres contacts. Les scientifiques et les rapports non publiés maintiennent le secret. Alors que le directeur général pour la recherche et l'innovation fait explicitement partie de la commission, son secrétariat nous répond que “l'authentification des tableaux n'entrent pas dans notre champ de compétences”. Ainsi, l’opacité des institutions publiques a limité nos recherches. Nous compensons par les “discours” produits par les institutions, c’est à dire les décisions administratives et les différents rapports.
En fait, la décision de classer le tableau Trésor National devait donner le temps aux experts et aux spécialistes de s’affronter et de s’accorder sur son authenticité. En effet, il aurait été impensable de le vendre tel quel vu la responsabilité des musées envers leur public, le prix avancé et le désir de crédibilité des maisons de vente. Néanmoins, les acteurs étaient supposés s’accorder et construire l’oeuvre durant les 2 ans de refus d’exportation mais vu la complexité du débat, le pari du Ministère de la Culture est perdu. D’ici le 16 novembre prochain, il est peu probable que les acteurs s'alignent d’où l’échec de cette procédure et l’incertitude qui persiste autour du destin de cette oeuvre.
A tableau exceptionnel, expertise exceptionnelle. Après l’apparition d’un tableau controversé comme notre Judith et Holopherne, un corps d’experts et de spécialistes se constitue. S’il peut paraître uniforme au premier abord, nous avons pu constater qu’il se hiérarchise en fonction du caractère plus ou moins généraliste, plus ou moins scientifique des acteurs. Ces rapports de domination au moment de comparer les preuves se retrouvent dans les différents niveaux de prises de risque. Après deux ans de confrontations dans le monde l’Art, l’obtention du faisceau d’indices n’aboutit pas. Les acteurs ne parviennent pas à se mettre d’accord sur l'attribution du tableau au Caravage. Pour résoudre le blocage, les institutions comme le ministère de la Justice peuvent alors s'approprier le débat. Néanmoins, à 5 mois de la fin de l’interdiction d'exportation, aucun élément ne semble pouvoir faire peser la décision d’un côté ou d’un autre. Nous suivrons donc avec grand intérêt la décision de novembre prochain, qui ne pourra néanmoins pas faire autorité quant à l’attribution du tableau. Le Caravage n’a jamais fini de nous livrer ses secrets.
Ouvrages généraux : • DASTON, Lorraine, GALISON, Peter, Objectivity, MIT Press, 2007 • LATOUR, Bruno « Le “pédofil” de Boa Vista – montage photo-philosophique », in Petites leçons de sociologie des sciences, Paris, La Découverte/Le Seuil, 1996, pp. 171-225
Ouvrages spécialisés : • BESSY, Christian, CHATEAURAYNAUD F., Experts Et Faussaires : Pour Une Sociologie De La Perception. Ed. Métailié, Paris, 1995. • CARDINALI, François, WALTER, Philippe, L’art- chimie : enquête dans le laboratoire des artistes, Collection “Le Studiolo”, Edition Michel de Maule, 2013. • DINH-AUDOUIN, Minh-Thu, JACQUESY, Rose Agnès, OLIVIER, Danièle, RIGNY, Paul, La chimie et l’art, le génie au service de l’Homme, EDP Sciences, 2010. • LAHIRE, Bernard, Ceci n’est pas qu’un tableau. Essai sur l’art, la domination, la magie et le sacré, Paris, La Découverte, 2015. • LATOUR, Bruno, WOOLGAR Steve, Laboratory Life: The Social Construction of Scientific Facts, Beverly Hills, Sage Publications, 1979; rééd. Princeton, Princeton University Press, 1986. • WALTER, Philippe, Chimie et expertise, EDP Sciences, 2014.
Articles (pour un résumé de quelques de ces articles, cliquez ici ): • BALLON Frédéric, “Expertise : modalités et techniques”, in Petites Fiches Lextenso, 2005.• BANDLE, A. L. “Fake or fortune? art authentication rules in the art market and at court”. In International Journal of Cultural Property, 22(2-3), 2015, 379-399. • BIETRY-RIVIERRE, Eric, “Un deuxième Caravage recherché du côté de Toulouse”, in Le Figaro, juin 2017. • BIETRY-RIVIERRE, Eric, “Exclusif : la photo du ‘présumé’ Caravage découvert dans un grenier”, in Le Figaro Culture, Avril 2016. • BUTT, Samuel. « Authenticity Disputes in the Art World: Why Courts Should Plead Incompetence ». in Columbia Journal of Law the Arts, vol. 28, 2005 2004, p. 71.
• CARON Mathilde, “Les paradoxes de l’incertitude (autour de quelques arrêts récents de la Cour de Cassation en matière d’authenticité des oeuvres et objets d’art”, in Petites fiches Lextenso, 2009. • COHEN Patricia, “In art, freedom of expression doesn’t extend to ‘is it real?’ ”, in The New York Times, 2018. • COHEN, Dany, “Authenticité et Paternité”, in Petites Fiches, Lextenso, n°149, 2005, p.29. • COLIN, Béatrice, “De nouvelles expertises attribuent au Caravage le tableau retrouvé dans un grenier Toulousain”, in 20Minutes, mars 2017.
• DAGEN, Philippe & JARDONNET, Emmanuelle, “Un Caravage a-t-il été découvert dans un grenier en France ?” in Le Monde, Avril 2016. • DE BAECQUE Olivier, “Rapport de synthèse”, in Petites Fiches Lextenso, 2005. • DEVILLERS Sophie, “Elle enquête sous les coups de pinceau”, in La Libre Belgique, 2014.
• GIGNOUX, Sabine “Nouvelles pistes dans l’énigme du “Caravage” de Toulouse” in La Croix, 10/02/2017 • GUICHARD, Charlotte. "La Signature Dans Le Tableau Aux XVIIe Et XVIIIe Siècles : Identité, Réputation Et Marché De l'Art." Sociétés & Représentations, vol. 25, no. 1, 2008, pp. 47-77. • GRAHAM, Daniel J., et al. "Statistics, Vision, and the Analysis of Artistic Style." In Wiley Interdisciplinary Reviews: Computational Statistics, vol. 4, no. 2, 2012, pp. 115-123. • J.V. & AFP, “Caravage ou pas? Les experts divisés sur un tableau découvert dans un grenier Toulousain”, in France 3 Occitanie, Mai 2017.
• LEMIEUX, Cyril, “C.Bessy, F.Chateauraynaud, Experts et Faussaires. Pour une sociologie de la perception.”, in Politix, vol.8, n°31, Troisième trimestre 1995. Parler en public (2). Dispositifs contemporains. pp.228-232. • LEOUFFRE, Isabelle “ Immense découverte, le dernier des Caravage” Paris Match, 22/04/2016
• MOUREY, Emile, “Au sujet du Caravage de Toulouse” in AgoraVox, 13 avril 2016
• OLSHAUSEN, DEWEESE,“Applied mathematics : the statistics of style” in Nature.
• QUEMIN, Alain. "L'Art Plus Fort Que La Science? L'Affrontement Entre Expertise Stylistique Et Expertise Scientifique Dans Une Querelle Sur l'Authenticité d'Une Œuvre d'Art: L'Affaire Sésostris III." Sociedade e Estado, vol. 20, no. 2, 2005, pp. 403-424.
• ROCHE Alain, “La contribution de la conservation-restauration dans l’authentification des oeuvres sur toiles”, in Petites Fiches Lextenso, 2005.
• SARCIA-ROCHE Catherine, “Modalités juridiques en matière de preuve”, in Petites Fiches, Lextenso, 2005. • SFEZ, Zoé, “Le ‘Caravage de Toulouse’ est-il un authentique Caravage? Les experts de plus en plus convaincus”, in France Culture, juin 2016 • SOUSI, Girard, « L’expert, l’oeuvre d’art et la chimie », lors du Colloque Chimie et Expertise : sécurité des biens et des personnes, 12 février 2014, Fondation de la Maison de la chimie • SOUSI Gérard, “L’authenticité d’une oeuvre d’art, les enjeux”, in Petites Fiches Lextenso, n°149, 2005, p.3. • SULMONT, Rémi, “Le fameux Caravage retrouvé dans un grenier de Toulouse va partir en voyage”, in RTL, Octobre 2016.
• TAYLOR, R. P., et al. "Authentificating Pollock Paintings using Fractal Geometry."in Pattern Recognition Letters, vol. 28, no. 6, 2007, pp. 695-702. • TRENTIN, André “L’affaire Caravage” dans Le Point, 29/06/2017
• VIGNERON, Sophie. « L’authenticité d’une œuvre d’art. Comparaison franco-anglaise ».in Revue internationale de droit comparé, vol. 56, no 56, 2004, p. 625‑54.
• WALRAVENS Nadia, “L’authenticité de l’oeuvre d’art contemporaine à l’ère de sa reproduction”, in Petites Fiches Lextenso, n°149, 2005, p.32.
• Anonyme, “Trouvé à Toulouse, «le tableau est bien un Caravage», affirment des experts du grand maître italie”, in La Dépêche, 2017. • Anonyme, “Un Caravage à Toulouse?”, in Espace Presse des Archives de Toulouse, non daté. • Anonyme, “Ce tableau a peut-être été rapporté par un soldat de Napoléon”, in La Dépêche, avril 2016.
Colloques et conférences: • “Le faux en art” Colloque de la cour de Cassation du Vendredi 17 novembre 2017 • “La certification des œuvres d'art par les spécialistes : comités d'artistes et auteurs de catalogues raisonnés. Contentieux récurrents” Hélène Dupin, Avocat au Barreau de Paris, Membre de l’Institut Art & Droit Conférence du 29 mars • CHRISTIANSEN, Keith, “Study day at La Brera”, in Pinacoteca di Brera, Biblioteca nazionale braidense, Février 2017.
Ressources cinématographiques:
• WELLES,Orson, F for Fake, 1975, Planfilm, Specialty Films, 88 min
Documentation officielle : • Centre de recherche et de restauration des Musées de France, “Guide pratique pour le marquage d’identification des biens culturels”, juin 2015. • JORF n°0076, “Arrêté du 25 mars 2016 refusant le certificat prévu à l'article L. 111-2 du code du patrimoine”, texte n° 108, 31 mars 2016. • Cour d’appel de Paris, 23 mars 2011, pôle 5, ch1 RG n°09/14183
Nous tenons particulièrement à remercier toutes les personnes nous ayant aidé à réaliser cette enquête, d'avoir pu nous donner un peu de leur temps et de partager leur savoir. Nous tenon également à remercier notre professeur Thomas Tari pour son aide précieuse.
Vous trouverez ici tous les acteurs importants de la controverse.
Michelangelo Merisi dit Le Caravage: Comment ne pas mentionner dans les acteurs de notre controverse le peintre (présumé) du tableau au coeur de tous les débats ? L'un des peintres les plus connus au monde, source de nombreux fantasmes, il a marqué durablement l'histoire de l'art et continue de nous fasciner aujourd'hui! fiche acteur : Le Caravage
Julie Ducher est l'associée d'Eric Turquin, du cabinet d'expertise parisien Turquin. C'est ce cabinet qui possède le tableau actuellement. Lien vers sa fiche et la retranscription complète de son entretien : Fiche Acteur et entretien retranscrit : Julie Ducher
Gianni Papi est un expert italien du Caravage. Il fait partie des experts qui avec Mina Gregori remettent en question l’attribution du tableau Judith et Holopherne. Lien vers sa fiche et la retranscription de notre entretien téléphonique : Fiche Acteur : Gianni PapiSon site internet : Site Internet de Gianni Papi
Marc Labarbe est commissaire-priseur à Toulouse. C'est lui qui le premier a été en contact avec le tableau et l'a fait expertiser par Turquin.
Lien vers sa fiche et son entretien complet ici.
Mina Gregori est l'une des plus grandes spécialistes du Caravage. Elle a été l'élève de Roberto Longhi, l'historien de l'art qui a été à l'origine de toute la redécouverte de l'oeuvre du peintre.Lien vers une fiche plus complète. Nous n'avons pas pu la rencontrer directement.
James Bradburne est le directeur de la Pinacoteca della Brera, un musée renommé de Milan, qui a le premier exposé le tableau comme un Caravage véritable. Nous n'avons pas pu le rencontrer, mais voici une fiche plus complète.
Le Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF) est situé à Paris. Ils sont chargés de produire un rapport final sur l'oeuvre et sont en relation directe avec le gouvernement. Pour en savoir plus, voilà la fiche du C2RMF
Charles Cuny est un avocat spécialisé dans le droit du marché de l'art. Lien vers sa fiche et son entretien.
Chantal Ouairy est une chef d'entreprise. Elle dirige Archipel Art, un cabinet d'analyse par radiographie, photographie et autres techniques d'oeuvres d'art à Paris. Lien vers sa fiche complète et son entretien retranscrit.
Didier Gourier est ingénieur chimiste, actuellement responsable de l’équipe «Physicochimie des Matériaux Témoins de l’Histoire» de l’Institut de Recherche de Chimie-Paris, en partenariat avec le Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France (C2RMF). Il est également directeur de la FR3506 « New-AGLAE », qui abrite le projet de rénovation de l’accélérateur d’ion du Louvre. Lien vers sa fiche complète et son entretien retranscrit.
Jean Pénicaut a fondé la société Lumière Technologie, active dans la photographie multi-spectrale. La société a notamment créé un objectif permettant de prendre une photo de 240 millions de pixels qui a la particularité de décomposer le spectre lumineux non pas en 3 couleurs mais en 13 couleurs. La société est particulièrement active avec les musées et les laboratoires d'histoire de l'art, car cette technique non destructive d'analyse des peintures a permis des découvertes exceptionnelles, mais aussi une révolution dans la manière de procéder pour certains historiens de l'art.Lien vers son entretien complet.
Mark travaille pour la société américaine Art Expertise qui est spécialisée dans l'authentification des oeuvres d'art. Lien vers son entretien et sa fiche complète.
Michel Menu est depuis 2001 le chef du département Recherche, le laboratoire du Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France (C2RMF) au Palais du Louvre à Paris. Il est diplômé en 1976 ingénieur de l’Ecole Supérieure d’Optique. C’est là qu’il découvre l’existence du petit laboratoire au Louvre, lieu qui permet d’allier science et art. Il passe une thèse en physique en 1978 et soutient en 1992 une Habilitation à Diriger des Recherches en sciences.
Son entretien et sa fiche complète.
Philippe Walter est actuellement Directeur du Laboratoire d’archéologie moléculaire et structurale à l’Université Pierre et Marie Curie et participe à une collaboration avec le C2RMF. Il est l’un des inventeurs de l’accélérateur AGLAE situé au niveau du Louvre. Il y développe des méthodes d’analyse originales et adaptées à l’étude des œuvres du patrimoine, avec l’accélérateur de particules, le rayonnement synchrotron et des appareils portatifs permettant d’étudier les œuvres in situ. ll a également écrit de nombreux ouvrages autour de l'authentification et de l’attribution des oeuvres d’art, qui nous ont servi lors de la rédaction de cette controverse. Nous ne l'avons pas rencontré, mais voici une fiche plus complète.
Institut Art & droit: Cet Institut a organisé un colloque intitulé “La certification des œuvres d'art par les spécialistes : comités d'artistes et auteurs de catalogues raisonnés. Contentieux récurrents.” auquel nous avons pu assister, et dont voici le résumé.
Emile Mourey est un "expert profane" qui a rédigé des articles d'analyse sur le tableau Judith et Holopherne. Nous avons pu échanger des mails avec lui. Lien vers sa fiche complète.
Roberto Longhi, mort en 1970, était considéré comme le meilleur expert en Caravage de son époque. Il travaille à l’élaboration d’un corpus d’oeuvres du maître mais également un corpus pour d’autres peintres que ce soit Velasquez, Brugghen, ...Après sa mort, nombre d’expert italiens se revendiquent de son influence que ce soit Mina Gregori ou Gianni Papi. Son livre Le Caravage paru en 1927 fait encore référence aujourd’hui. Voilà la fiche de Roberto Longhi
Nous sommes un groupe de cinq étudiants en deuxième année du double cursus Sciences et Sciences Sociales à Sciences Po Paris et Sorbonne Université, et nous avons effectué cette étude dans le cadre de notre cours d'études de controverses (Sciences, Techniques et Sociétés) enseigné à Sciences Po, de janvier 2018 à mai 2018.
Pourquoi avoir choisi ce sujet ? Au delà d'un attrait pour l'art en général, nous étions curieux de découvrir ce monde de l'art fantasmé, qu'on dit impénétrable. Nous étions également convaincus que l'art et les sciences sont très liés et nous étions déterminer à démontrer les liens entre ces deux domaines.
Nous avons commencé notre enquête par le contact de Julie Ducher, ce qui nous a directement permis de voir le tableau en personne et de rentrer au cœur de notre controverse. Par la suite, nous avons pu rencontrer tous les acteurs importants pour notre controverse : Marc Labarbe, Michel Menu, Gianni Papi, Emile Mourey, Didier Gourier... Et des acteurs non impliqués directement mais extrêmement précieux : Chantal Ouairy, Marc de Art Expertise, Jean Pénicaut, Charles Cuny... Nous avons assisté à des conférences, visité des laboratoires, et nous sommes beaucoup documentés sur d'autres controverses d'authentification. Nous avons ensuite élaboré une problématique et une structure afin de présenter les résultats de notre enquête.
Nous espérons que la lecture vous aura plu!
L'équipe de cette controverse, dans ses plus beaux atours! De gauche à droite : Alisée, Léa, Pierre, France et Emma.
Pour nous contacter : caravagesque@gmail.com
Gignoux, Sabine “Nouvelles pistes dans l’énigme du “Caravage” de Toulouse” in La Croix, 10/02/2017
Cette analyse est stylistique. Elle rend hommage à Giovanni Morelli, médecin et collectionneur d’art à la fin du XIXème siècle. Elle distingue les artistes les uns des autres à travers les singularités de leur style. Se distinguant des analyses stylistiques simples dont nous avons déjà parlé, Morelli constate que les artistes développent des formules relevant de l’automatisme dans leur tracé, supposées être constantes, par-delà les changements de style de l’artiste. Les analystes de Art Expertise utilisent donc cette technique pour identifier l’artiste auteur de l’oeuvre authentifiée.
Le C2RMF a mis au point un appareil supposé révolutionner le monde de l’art : AGLAE. En effet, Michel Menu nous confie “[qu’au] Louvre, AGLAE était appelé le “Tchernobyl du Louvre” ou le “Fukushima”. Malgré cette renommée, une limite persiste : AGLAE ne peut pas encore analyser de matière organique. Toutefois, tant Michel Menu que Didier Gourier restent persuadés qu’AGLAE pourra un jour authentifier les tableaux des Musées de France : le principe est de réaliser une “cartographie chimique” complète des tableaux.
Daston Lorraine, Galison Peter Objectivity, MIT Press, 2007
Cardinali François, Walter Philippe, L’art- chimie: enquête dans le laboratoire des artistes Collection “Le Studiolo”, Edition Michel de Maule, 2013
LATOUR, Bruno, "Le 'pédofil' de Boa Vista - montage photo-philosophique", in Petites Leçons de sociologie des sciences, Paris, La Découverte/Le Seuil, 1996, pp.171-225.
"Le Faux en Art", Colloque de la Cour de Cassation, Vendredi 17 novembre 2017.
LATOUR, Bruno, WOOLGAR, Steve, Laboratory life : the social construction of scientific facts, Beverly Hills, Sage Publications, 1979 ; Reed. Princeton, Princeton University Press, 1986.
CARDINALI, François, WALTER, Philippe, L'art-chimie : enquête dans le laboratoire des artistes, Collection "Le Studiolo", Edition Michel de Maule, 2013.
GUICHARD, Charlotte, "La signature dans le tableau aux XVIIème et XVIIIème siècles : Identité, Réputation et Marché de l'Art", in Sociétés et représentations, Vol.25, n°1, 2008, pp.47-77.
MOUREY, Emile, "Au sujet du Caravage de ToulouseAu sujet du Caravage de Toulouse ", 13 Avril 2016.
"La certification des oeuvres d'art par les spécialistes : comités d'artistes et auteurs de catalogues raisonnés. Contentieux récurrents" Hélène Dupin, Avocat au Barreau de Paris, Membre de l'Institut Art et Droit, Conférence du 29 Mars 2018.
WELLES, Orson, F for Fake, 1975, Planfilm, Specialty Films, 88min.
LAHIRE, Bernard, Ceci n'est pas qu'un tableau. Essai sur l'Art, la Domination, la Magie et le Sacré. Paris, la Découverte, 2015.
BUTT, Samuel, "Authenticity Disputes in the Art World : Why Courts should Plead Incompetence", in Columbia journal of Law and the Arts, Vol.28, 2005, p.71.