Ressources pour le programme 'Explorer les controverses par le débat' de la semaine de pré-rentrée 2018
Les biocarburants constituent l’une des principales nouvelles énergies renouvelables à s’être développée au cours de la dernière décennie, dans le monde, en Europe et tout particulièrement en France (cf. le diagramme ci-dessous). Bien moins connus dans l’hexagone que l’éolien ou le photovoltaïque, les biocarburants y sont pourtant très présents, puisqu’ils représentent aujourd’hui plus de 7% de l’énergie consommée par les transports (contre 4% à l’échelle européenne) et que le leader mondial du biodiesel, le groupe Diester Industries (filiale de l’agro-industrie Avril), qui produit du gazole à partir de 80% du colza national, est français. Les carburants issus de la biomasse jouent donc un rôle essentiel pour atteindre les objectifs fixés en 2009 par le Paquet Énergie-Climat de la Commission Européenne, soit une part de 20% d’énergie renouvelable (23% pour la France) d’ici 2020.
Mais le développement des biocarburants a connu de vives controverses, notamment autour de l’année 2008, quand des rapports de l’OCDE et la FAO ont mis en avant leur rôle dans l’inflation des prix alimentaires, les accusant d’affamer le Tiers-Monde dans une logique “Fuel versus Food”. Des bilans environnementaux très contradictoires ont été produit pour mesurer le réel impact de cette énergie renouvelable. Les analyses dites de cycle de vie, qui permettent de mesurer les émissions et la consommation énergétique dépensée, de la plantation à la pompe, pour produire un litre de biocarburants, varient énormément entre différentes filières (bioéthanol issu du maïs, biodiesel issu du colza ou d’importations d’huiles de palmes, biocarburants de deuxième génération produits à partir des parties non comestibles de végétaux, de déchets, à partir de microalgues…) mais aussi dans leurs méthodes de mesure même. Fortement incitatrice dans ses politiques de développement des biocarburants, la Commission européenne, alertée par des rapports de recherche et des mobilisations de la société civile, a proposé en 2009 puis en 2015, au fil de plusieurs directives, des critères permettant de définir - et certifier - des biocarburants durables, afin de limiter la part de ceux dits à l’inverse classiques ou conventionnels et qui ne recevraient plus d’aide (seuil maximum d’incorporation dans les carburants fixé à 7% soit la situation de la France, qui a fortement oeuvré en coulisses pour que le Parlement européen ne descende pas en dessous de ce niveau).
Ces critères, vérifiés par des organismes certificateurs, sont aujourd’hui les suivants :
Ces critères ainsi que la mise en oeuvre du processus de certification sont dénoncés par certains organismes (des ONG, mais aussi la Cour des Comptes européenne) qui y voient une procédure de greenwashing en attribuant la qualification de durable à des productions nocives, voire néfastes ; du côté des industriels producteurs de biocarburants, on rappelle le nombre d’emplois agricoles et ruraux à la clef, et on conteste les méthodologies encore fragiles employées, tout en soulignant que les biocarburants constituent la seule source d’énergie renouvelable liquide, utilisable et utilisée à grande échelle pour les transports. Certains acteurs préfèrent investir la seconde génération de biocarburants issue de la lignocellulose des branches et tiges de taillis, mais leurs procédés techniquement encore incertains doivent aussi répondre à la problématique des changements d’affectation des sols indirects - soit l’utilisation de terres arables pour produire des biocarburants qui conduirait à une déforestation ailleurs, afin de compenser la pénurie de terres disponibles.
C’est dans ce contexte difficile, qui mixe des enjeux à la fois énergétiques, environnementaux, agricoles et alimentaires, et alors que certains biocarburants, tels ceux issus d’huile de palme, sont amenés à disparaître d’ici 2021, qu’un projet de bioraffinerie sur la plateforme Total de la Mède utilisant cette ressource concentre aujourd’hui des prises de positions contradictoires.
Cette ancienne raffinerie a stoppé sa production en décembre 2016 et des travaux de reconversion sont alors engagés par Total dans la production de biodiesel avec une capacité de 500 000 tonnes par an à partir de son démarrage prévu mi-2018 ; La bio-raffinerie est conçue pour pouvoir traiter tout type d’huiles : entre 60 et 70% d’huiles végétales (certifiées selon les critères de l’Union européenne) et entre 30 et 40% d’huiles alimentaires usagées résiduelles. Cette conversion permettrait de donner un futur au site qui était lourdement déficitaire avec notamment le maintien de 250 emplois, sur les 470 auparavant, sur le site.
Ce projet est contesté car la production de biodiesel devrait être essentiellement assurée grâce à de l’huile de palme, car c’est la matière première la moins chère. Selon certains producteurs français de biodiesel, cela pourrait avoir un impact sur la filière biodiesel française existante fondée sur le colza ; de plus, des ONG dénoncent ce projet car la production d’huile de palme conduit à la déforestation en Indonésie et en Malaisie. En mai 2018, la préfecture des Bouches-du-Rhône a pris un arrêté d’autorisation pour les installations de la Mède lui permettant la fabrication de biocarburants. Total devra, conformément à l’arrêté, utiliser au moins 25 % d’huiles recyclées ou usagées.
Les Jeunes agriculteurs et la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) protestent en juin 2018 contre l’autorisation donnée à Total d’importer une grande part d’huile de palme en bloquant treize raffineries et dépôts de carburant à travers la France. Selon eux, le sol français fourni assez de colza et de tournesol pour alimenter une filière énergétique nationale. Les 300 000 tonnes d’huile de palme que Total va importer mettent péril les exploitations de 75 000 producteurs de colza, selon la FNSEA, alors que ce débouché représente 70 % de leur revenu ; l’huile de palme est 30 % moins chère que celle de colza. En 2017, plus de la moitié de l’huile de palme importée par l’UE a servi à fabriquer du biodiesel pour les voitures et les camions, selon l’ONG belge Transport et Environnement. Produire un litre de biodiesel à partir d’huile de palme revient à rejeter trois fois plus de CO2 dans l’atmosphère qu’un litre de diesel, selon une étude commandée par la Commission européenne et publiée par Transport et Environnent. Par ailleurs, l’huile de palme apporte « une contribution significative à la perte de biodiversité » (tigres de Sumatra, orangs-outangs, etc), selon un rapport du Conseil général de l’environnement et du développement durable, publié en décembre 2016.
Le 5 juillet 2018, six associations de défense de l’environnement, dont France nature environnement, Greenpeace France, la Ligue pour la protection des oiseaux PACA et les Amis de la Terre, déposent un recours contre l’autorisation préfectorale de la raffinerie de Total à La Mède au tribunal administratif de Marseille.
C’est dans ce contexte que la Commission nationale des débats publics décide d’organiser à Marseille, près du site de La Mède, une réunion de débat public à propos de ce projet.