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#Biographie de Arnaud Alessandrin
Arnaud Alessandrin est docteur en sociologie de l’université de Bordeaux où il a soutenu sa thèse intitulée « Du ‘transsexualisme’ aux devenirs trans » (2008-2012). Il y enseigne actuellement la sociologie du genre et des discriminations. Auteur de nombreux livres et articles sur le sujet des transidentités, du genre et des homophobies, il crée avec K. Espineira et M-Y. Thomas, respectivement en 2011 et en 2013, l’Observatoire des Transidentités et la revue « les cahiers de la transidentité ». Enfin, ses activités sont fortement ancrées du côté des recherches de terrain. Il a notamment réalisé une enquête quantitative sur la transphobie avec K. Espineira (2014), récompensée par le prix Pierre Guénin. Il travaille actuellement sur une recherche CNRS portant sur l’effet de la socialisation genrée sur les parcours de santé (2014-2017) et coordonne l’Observatoire Bordelais de l’Egalité.
#Retranscription de l'entretien
##Question de définition: Etre transgenre, selon vous, c’est quoi ? Et pensez vous que les tensions de définitions puissent également complexifier l’accompagnement et l’accueil des personnes souhaitant faire une transition ?
La définition "d'être transgenre", pour reprendre vos mots, est encore aujourd'hui (et c'est heureux) sujette à certaines tensions. D'une part, du point de vue des nomenclatures, le nouveau DSM (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux) et la future CIM (Classification Internationale des Maladies) ne semblent pas s'accorder sur la dénomination à donner (Dysphorie ? Non congruence?). Même si toutes deux inaugurent un glissement dans la dépathologisation des mots et dans la dépsychiatrisation du "transsexualisme", on voit bien une certaine instabilité (due aux logiques des deux classifications probablement). D'autre part, du point de vue des pratiques, être transgenre s'émiette en une ribambelle de "technologies de genre" pour le dire comme De Lauretis. Du vêtement au sexe en passant par le prénom ou le corps dans son ensemble, être transgenre réside toujours en une adaptation de son corps à son identité et au regard de l'autre. Etre transgenre, Laurence Herault le montre bien, est fortement relationnel (comme nous sommes des êtres relationnels cela n'est d'ailleurs guère étonnant). Puis, dernier point, il y a la façon dont on se nomme qui varie beaucoup d'un individu à l'autre (cf mon article : “la transphobie auj. en France”, dans la revue Les cahiers du genre). Dans notre enquête "transphobie" avec Karine Espineira, nous avions eu 36 (je crois) types d'auto-identifications (FtM, MtX, Trans, transgenre....). D'autres ont d'ailleurs pu naître depuis (comme "neutrois"). Votre question, avec le mot "transgenre" est donc elle aussi une orientation.
##La procédure de transition doit-elle, pour vous, comporter obligatoirement un suivi psychiatrique et/ou psychologique ? Considérez-vous que la volonté de changer de sexe relève, du moins partiellement, de la psychologie ou de la psychiatrie ?
Une chose est certaine : il existe peu de pays qui ne conditionnent pas le changement anatomique au diagnostic. Mais rares sont les pays à sur diagnostiquer de la sorte. Les protocoles français sont peu nombreux, longs, souvent jugés comme pénibles et excluants, et leurs pratiques, qui évoluent, n'épousent pas les demandes des personnes tans (cf les travaux d'A. Giami). Par conséquent, la psychiatrie, mère du concept de "transsexualisme", est très éloignée des vies de nombreuses personnes trans. La question qui se pose est la suivante : à quelles conditions rembourse-t-on une opération ? L'avortement, la grossesse ou d'autres types d'interventions sont remboursés sans psychiatrisation. Alors oui : d'autres voies sont envisageables. La dimension psychologique est d'emblée autre : si la psychiatrie et la psychologie sont accompagnatrices et non sélectives, le point de la suspicion portée sur les parcours s'en voit amoindri. Alors, si dimension "psy" il doit y avoir, ce serait du côté du choix du patient et/ou de l'accompagnement, non pas du "diagnostic".
##La procédure de transition doit-elle être déjudiciarisée ?
La récente loi déjudiciarise pour partie le changement de sexe et de prénom. Je dis "en partie" car il est prévu des recours vers le juge en cas de doute sur la démarche des requérant.e.s. De fait, la démarche est "presque" déclarative car les agents de l'état civil ont peu de choix sinon d'accepter les demandes, car le zèle des administrations à ne pas fournir les papiers sans passage devant le juge, serait jugé comme abusif.
##Les discriminations subies par les trans (ayant ou non commencé leur transition) diffèrent-elles selon leur catégorie socio-professionnel, leur âge ?
Comme toutes les discriminations, la transphobie ne s'abat pas sur l'ensemble des corps, des identités et des vies de la même façon. On sait par exemple que les personnes appartenant à des CSP plus élevées et ayant des revenus conséquents ont des stratégies de vies plus larges que celles qui, par leurs revenus, leurs lieux d'habitation etc... ne parviennent pas à s'extraire des relations (voisins, collègues etc....) discriminantes. La transphobie dont ont souffert les personnes trans les plus âgées n'est pas non plus comparable à ce que vivent les jeunes trans : quantitativement, peut-être est-ce la même chose (nous n'avons pas de chiffres pour le dire) mais qualitativement, les associations, et Internet, démultiplient considérablement les supports d'aides. Enfin, nous savons aussi que les filles et les garçons trans ne vivent pas les mêmes types de violences, ces derniers semblant moins victimes de coups et de brimades dans l'espace public par exemple.
##Sur quels critères la justice peut-elle se baser objectivement pour entériner un changement de sexe ?
L'objectivité de la justice est celle qui est inscrite dans le droit. Elle varie donc d'un temps à l'autre, d'une région à l'autre parfois, créant des trous dans les juridictions, mais elle est stipulée de la sorte depuis la loi de novembre 2016 -le décret d'application date de Mars 2017 :
« toute personne majeure ou mineure émancipée qui démontre par une réunion suffisante de faits que la mention relative à son sexe dans les actes de l'état civil ne correspond pas à celui dans lequel elle se présente et dans lequel elle est connue peut en obtenir la modification ». Sans lier un à un les éléments du dossier, l’article précise : « la preuve peut être rapportée par tous moyens : (que l’individu) se présente publiquement comme appartenant au sexe revendiqué ; (qu’il soit) connu sous le sexe revendiqué de son entourage familial, amical ou professionnel ; (qu’il ait) obtenu le changement de son prénom afin qu'il corresponde au sexe revendiqué ».
##Comment dépsychiatriser le terme et le statut de transgenre ?
Il faut distinguer plusieurs choses. Dépathologiser les mots et dépsychiatriser les parcours. Relativement aux mots, d'autres termes (évidemment pas celui de "transsexuel") permettent ce glissement. Les représentations et les mots étant liés, changer les mots ne fait pas tout. Quant au statut, les classifications (de type CIM et DSM) pourraient y prétendre. L'assouplissement des parcours reconnus par la CPAM pourrait être une autre piste.
##Sur quoi doit, selon vous, se baser le remboursement par la sécurité sociale d’une procédure de changement de sexe ?
La CPAM rembourse ce qu'elle considère comme une maladie. Or, le "transsexualisme" n'en est une que parce qu'elle reste classée par l'OMS par exemple (via la CIM). On entrevoit bien le paradoxe : comment rembourser ce qui ne relève pas de la maladie. La question est pourtant résolue pour les avortement, certaines caractéristiques mammaires etc.... Ce qui est alors remboursé ce n'est plus une maladie mais ce qui entrave le bien être de la personne au point d'impliquer sa vie (la sur-suicidabilité se mesure aisément). C'est donc sur la base de ce mal-être pouvant entrainer des conséquences graves sur la personne (automutilation....) que la CPAM doit se prononcer (si elle a à le faire dans les temps qui viennent) sur le maintien d'une remboursement complet des opération par délivrances d'ALD.