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#Biographie de Vincent Bourseul
Vincent Bourseul est un psychanalyste, membre de l'école de psychanalyse Sigmund Freud. Il propose une définition psychanalytique du sexe, du genre et de l’identité sexuelle qui refuse la simple opposition entre le sexe (les corps) et le genre (les rôles sociaux qui se réfèrent à ces corps).
#Retranscription de l'entretien
##Existe-t-il un « parcours officiel » de changement de sexe ?
Le parcours officiel est celui d’un suivi psychiatrique de 2 ans, aboutissant à l’hormonothérapie et autres procédures. Les équipes officielles sont « officielles » uniquement en cela qu’elles se sont auto-proclamées comme officielles.
Roselyne Bachelot a sorti les transgenres de la pathologie. Cela a soulagé grandement les équipes officielles des hôpitaux. Avant, pour fournir une attestation qui justifie la prise d’hormones, elles devaient juger le bien fondé de la demande, le poids pathologique. Maintenant, elles s’intéressent uniquement au lieu social, à l’environnement social, ce qui est plus intéressant, mais on garde cette logique de jugement subjectif. Chillan, le fer de lance des officiels, reste beaucoup dans une logique pathologisante. A l’inverse, à l’étranger, c’est beaucoup plus simple, il n’y a pas d’appréciation.
Un chiffre à bien avoir en tête : seuls 20% des transsexuels suivent le parcours officiel (la transition se fait avec l’Etat), 80% font leur propre parcours en dehors de l’Etat (vision plus libérale/libertaire). D’un côté, le parcours officiel permet une transition dans de bonnes conditions, un accès au traitement, une prise en charge par la sécurité sociale. De l’autre, les parcours non-officiels s’appuient sur des psy et endocrinologues qui accompagnent en dehors de l’Etat (comme moi), mais ont le mérite de ne pas demander une justification personnelle des transsexuels. Souvent, les transsexuels qui décident de suivre le parcours officiel pour bénéficier de ses avantages apprennent et recrachent un discours qu’on leur a présenté comme étant celui que l’institution attend des transsexuels pour leur ouvrir la procédure. Ainsi, ils portent un discours, notamment devant les psy, qui n’est absolument pas leur opinion personnelle mais une simple caricature de ce que l’Etat attend d’un transsexuel pour lui ouvrir la procédure. Or, en réalité, il n’existe pas une vie de transgenre type, à chaque personne doit correspondre une théorie.
La demande de changement de sexe sur l’état civil est toujours soumise à l’appréciation des magistrats, et donc à leurs préjugés, leurs normes personnelles. En résulte une grande disparité du traitement des transsexuels selon les endroits, les tribunaux. On devrait à terme pouvoir changer sur simple demande à l’officier d’état civil. Ca ne ferait en rien basculer les choses, on n'aurait pas un afflux massif de personnes en mairies qui voudraient d’un coup changer de sexe.
Vous devez vous demander pourquoi il y tant de différence entre la France et les pays étrangers ? En France existe une forte culture psychanalytique, encouragée par une théorisation massive (Guillarda, Chillan), on s’intéresse à la structure psychique.
##Que pensez-vous de l’aspect binaire de la sexualité qu’ont construit les normes ?
Le sexe, le genre comme structuration de l’individu. Il est difficile de passer du binaire au ternaire. Nous sommes construits de manière ternaire, mais cela est trop compliqué pour nos cerveaux, nous préférons le binaire. Notre structuration n’est pas fixe. Certaines personnes en transition se sentent en transition, d’autres dans un état transitoire, ou d’autres dans une situation établie (souhaitent rester dans l’état de transition). Avant FtM et MtF ça fonctionnait, maintenant c’est trop binaire. Certains se définissent comme non binaire sans vouloir rentrer dans un parcours de transition. Paul B Preciado ne prend plus d’hormones mais continue à se dire en transition. Personne n’est en mesure de dire ce qu’est ou doit être une personne, encore moins les psychanalystes ou les magistrats.
Le sexe représente le paradoxe le plus fondamental de notre société. Lacan et Freud considèrent que, psychologiquement, il est impossible de savoir si on est homme ou femme. C’est la chose la plus glissante, la plus insaisissable. Or, on a besoin de faire du sexe une chose sûre, fondamentale, solide. Là d’où une guerre des sexes permanente et un maintien des inégalités pour se justifier, se distinguer, se répartir en deux groupes sociaux distincts. La distinction homme/femme est faite au titre de signifiant pour Lacan. Le sexe est donc une question insupportable pour tout le monde, on est dans un balancement permanent, réglé jusqu’au prochain point de vacillement. Ainsi, le sexe est la figure de l’instabilité par excellence, alors qu’on la voudrait comme structuration fondamentale dans la société, d’où le fait qu’on parle très peu de genre dans les médias, pour ne pas introduire de l’incertitude dans les mentalités.
##De manière générale, la transsexualité est-elle bien acceptée dans notre société ?
L’acceptation des transgenres a progressé depuis le mouvement Queer des années 70. Avant on avait toujours la vision d’une dysphorie de genre (DSM). Mais on continue aujourd’hui à utiliser des mots beaucoup plus forts pour les transsexuels que pour les autres. Ainsi, on ne devrait plus parler d’opération de réassignation sexuelle, mais de simple chirurgie esthétique et/ou préparatoire. Pour une femme, on ne lui demande pas d’aller voir un psy avant de lui laisser se faire refaire les seins. On maintient le terme de réassignation parce que cela soulage les chirurgiens : l’opération étant très lourde de conséquence, on préfère en parler en de grands termes. L’opération médicale elle-même diffère beaucoup entre FtM et MtF : les FtM font pas mal de masteco et très peu de phalloplastie, alors que les MtF font énormément la vaginoplastie.
Aujourd’hui, les théories transsexuelles ont fait leur chemin. On ne parle plus de « je suis né dans le mauvais corps » mais bien plus de vécu social. Pour les FtM (voir le film Mon sexe n’est pas mon genre) : devenir un homme est une accession à une tranquillité, permet d’échapper à la discrimination, et d’accéder à des responsabilités publiques. Pour les Mtf : devenir une femme ferme des portes, entraîne un déclassement dans la hiérarchie professionnelle. Voir le National Géographic sur la jeune transgirl : on parle du risque d’être une fille, de l’intérêt de devenir un homme pour ne plus avoir à revendiquer une place dans la société en tant que femme. Ainsi, l’idéologie du patriarcat en a pris un coup mais on observe qu’elle persiste tout de même.
Il y a une lutte entre les transsexuels et les médecins car les médecins pathologisent. La question transsexuelle est un terrain de jeu biopolitique, un enjeu de pouvoir pour le médical. Il faut dé-pathologiser.
##Les associations transgenres ont-elles une place importante dans les parcours individuels des transsexuels ?
La plupart des transsexuels n’apportent pas d’importance au militantisme. Ils font leur parcours loin des autres, passer par les associations n’est plus une aide (avant, je re-dirigeais mes patients vers les associations, maintenant plus du tout parce que les transsexuels ne se reconnaissent plus dans les associations pro-transsexuelles). C’est notamment dû au fait que le milieu militant transsexuels soit en guerre permanente (pas d’accords sur la définition du transsexuel, sur leurs revendications, sur le parcours à suivre,…). C’est l’une des minorités qui arrive le moins à se constituer en lobby politique car elle est dispersée.
##Y-a-t-il d’autres sujets qui pourraient nous éclairer ?
L’influence de la religion. Pour les catholiques, la question du sexe est réglée d’avance, c’est Adam et Eve. En Iran, devenir transsexuel est pris en charge et facilité par l’Etat car on préfère changer les hommes en femmes plutôt que ceux-ci s’assument homosexuels.
Nature vs culture : est-ce qu’on naît transsexuel ? S’accommoder de son anatomie de naissance est un souci de tous les jours. La première idée est que le psychique est secondaire au vivant. Mais avec la multiplication des expériences personnelles en dehors du cadre bipolaire, on a eu besoin d’adaptation. C’est comme pour les religions, on a inventé le polythéisme pour faire tenir la verticalité avec l’horizontalité. C’est pareil pour la question transsexuelle.
Merci beaucoup pour le temps que vous nous avez consacré.