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#Biographie de Hervé Hubert
Hervé Hubert est un psychiatre et psychanalyste français, président de l’Association scientifique Ateliers Pratiques de Psychanalyse Sociale. Il est directeur de séminaires de formation au sein de l’Elan Retrouvé, association dédiée à la réintégration et à la réinsertion des malades psychiques. Il se spécialise dans les domaines liés au transfert et à la question sexuelle, dans le cadre de deux thèses, l’une en psychanalyse (“clinique du transsexualisme: une logique de retranchement”), l’autre en psychologie (“transsexualisme: du syndrôme au sinthome”). Il travaille actuellement sur l’analyse marxiste du transfert social, appliquée à la transidentité.
Source: http://www.herve-hubert-psychiatre-paris.com/
#Retranscription de l'entretien
##Vous êtes donc un psychiatre habilité à donner des attestations ?
Je suis psychiatre et psychanalyste mais en tant que médecin psychiatre j’ai le droit de faire des attestations pour initier un parcours. C’est une question qui est venue pour moi il y a une vingtaine d’années : en 1995 j’ai rencontré un transsexuel et j’ai été amené à faire des attestations. C’est resté peu fréquent pendant quelques temps mais de bouche à oreille ça circule toujours un petit peu et à partir de 2010 j’ai reçu beaucoup de demandes. Entre temps j’ai fait deux thèses sur ce sujet que je trouvais énigmatique. De plus, je trouvais les réponses psychanalytiques apportées peu satisfaisantes. Donc j’ai fait une thèse de psychanalyse en 2003 à Paris VIII : Le transsexualisme, une logique de retranchement et une thèse de psychologie en 2006 : Du syndrome au sinthome. Le problème que j’ai rencontré était que les rencontres cliniques que j’effectuais ne correspondaient pas à la théorie lacanienne qui condamne l’opération, qu’il (Lacan) caractérisait comme « une folie, une psychose ». Moi, au contraire, j’ai autorisé d’emblée donc je n’étais pas du tout dans la doxa.
##On a rencontré plusieurs acteurs du sujet qui étaient assez hostiles au corps médical, vous sentez cette doxa médicale ?
Dans un hôpital parisien où j’ai fait une conférence sur le sujet en 2003, et je recevais beaucoup de critiques du fait que je faisais des attestations et une psychanalyste m’a dit « si quelqu'un vient vous voir et vous demande d’être transformé en chien, vous allez accepter ? » et ce qui m’a gêné c’est que la moitié de l’amphithéâtre a applaudi à cette remarque.
Il y a plusieurs raisons. D’abord au niveau psychanalytique il y a un préjugé lacanien très fort puisqu’il s’était prononcé contre en 1958 et 1971 ce type d’opération. Au niveau des psychiatres qui ne sont pas forcément psychanalystes j’ai été choqué par les préjugés moraux. A la fin des années 1990 j’étais confronté à un homme marié avec des enfants qui se sentait femme et j’en parle à un collègue parisien qui me dit « un homme père de famille qui veut devenir lesbienne, vous n’y pensez quand même pas cher confrère ? ». C’est un ordre moral qui est bouleversé par l’apparition des transgenres.
J’écris qu’il n’y a pas de maladie mentale mais une souffrance qui est liée à la problématique du social dans le mental. Mes patients ne sont pas des malades mentaux, on ne peut pas se reposer sur le modèle médical organique pour les prendre en charge. Une souffrance transgenre c’est surtout ça, c’est le social. Le social, c’est la famille tout d’abord, qui est bouleversée. Les parents réagissent très différemment au changement de genre de leur enfant.
##Vous avez vu des caractéristiques objectives qui différencient vos patients, comme l’âge, la CSP ?
Au niveau de l’âge c’est assez large, je reçois des mineurs comme des personnes de 60 ans, il y a toute sorte de situations. Je reçois des adultes qui ont commencé une vie professionnelle, ou une vie familiale. L’acceptation et la reconnaissance sociale est toujours importante, dans tous les cas : dans la famille, à la fac, dans l’entreprise, etc.
Je reçois actuellement beaucoup plus de jeunes adultes FtM, tandis qu’MtF c’est plus rare. Je pense que ça s’explique historiquement : le transsexualisme féminin était plus facilement toléré parce que ça pouvait passer pour de l’homosexualité féminine : généralement, un FtM va avoir comme partenaire sexuel une femme. Déja dans les années il y avait une tolérance plus forte vis à vis des couples lesbien que vis à vis des couples gays. Ces facteurs moraux dans le transfert social jouent de façon différente puisqu’il y a une intégration sociale plus facile historiquement chez les FtM. Même maintenant, être garçon manqué dans l’enfance passe plus facilement qu’être un garçon efféminé qui porte des robes. Il y a un facteur social, l’estime et l’acceptation des parents jouent un rôle important dans la transition. De ce fait, il y a une facilité à exprimer l’identité de genre dans le social beaucoup plus tôt chez le FtM qui font donc leur transition plus tôt. De ce point de vue, la proportion a complètement changé. Avant, dans les années 1990, on parlait d’un tiers de FtM et de deux tiers de MtF, c’est ce que voyaient les psychiatres, mais c’était une procédure psychiatrisée. On est passé par une parité et actuellement dans mon expérience la proportion s’est inversée.
##Est-ce que vous avez perçu des évolutions dans les motivations au changement de sexe ?
Je ne pense pas que les motivations aient changé, pour moi c’est une histoire d’identité. L’identité c’est un nouage entre des mots, une image et le corps. C’est à ça que je suis arrivé d’après mon expérience avec les personnes transgenres. Un homme est noué avec le signifiant garçon, l’image d’un garçon et la sensation du pénis et inversement. Le changement s’opère par l’une des trois parties de l’identité et en général aboutit à la transformation des trois. Ca peut débuter par vouloir être dit garçon ou fille, ou vouloir s’habiller comme un garçon ou une fille, voire une sensation de corps.
Il y a une succession logique dans ce nouage, généralement quand on change l’une des trois entités on change au final les trois, et donc c’est à dire qu’on fait à la fois la chirurgie et le changement à l’état civil. Après on a des personnes chez lesquelles pendant longtemps - voire toute leur vie - la notion d’être dit homme/femme est primordiale, ça les satisfait. Il n’y a pas forcément le désir de retirer le pénis, ou l’utérus. Mais en général ça évolue dans le temps : j’ai vu un patient il y a deux ans qui avait changé son état civil sans avoir retiré son pénis puisqu’il n’y était pas prêt. Et peu à peu dans son intimité notamment envers sa petite fille, la « mamie qui avait un pénis quand elle prenait sa douche » gênait un peu, donc elle l’a changé. C’est toujours une image que l’on a de soi à travers les autres.
##Qu’est-ce-que vous pensez du test de vie réelle ?
Le test de vie réelle dépend vraiment de chaque contexte social (professionnel, familial) dans lequel on est. C’est une position sadique que de mettre quelqu’un dans un changement de son apparence sans traitement hormonale, etc. Le motif est toujours du côté de la reconnaissance : chaque personne arrive avec sa question de transidentité de façon très différente, même si à mon avis on peut détacher trois grands invariants (corps-image-mots). Une fois que c’est présent dans le discours des personnes alors ça ne sert à rien d’attendre. Lorsque les gens viennent, c’est en général assez réfléchi parce que c’est une souffrance qu’ils portent depuis longtemps.
Parce que c’est toujours difficile : c’est un malaise. La personne ne naît pas avec un « moi » transgenre, elle ne comprend pas ce qu’il se passe, ça peut passer pour anormal, monstrueux. Quand la personne arrive à rencontrer un semblable, ça libère quelque chose. « Ca existe. Je ne suis pas seul. C’est possible. » Avec internet, ça a amené un changement énorme, c’est d’ailleurs pour ça que depuis 2010 j’ai eu une augmentation énorme de patients transgenres. Identifier le problème via le semblable, ça va beaucoup plus vite. En cela les associations sont très importantes puisqu’il y a un réel besoin d’avoir un semblable concret.
Le simple fait que des gens comme moi disent, « oui, je vous reconnais comme tel » change beaucoup de chose. Il y a à la fois la reconnaissance sociale et médicale. Alors que mettre quelqu’un d’un peu perdu dans une situation de « montrez nous » avec des critères qui sont encore moraux et stéréotypés j’y suis profondément opposé.
##On nous parle souvent de la dépsychiatrisation de la procédure, qu’en pensez-vous ?
Je pense que déjà le mot est mauvais. Klemperer a montré que ce « dé- » qui retranche cette caractéristique ce n’est d’abord pas la bonne formulation. Ensuite, la transidentité ce n’est pas un problème de maladie mais un problème social. C’est donc au social de traiter le problème, et non à la médecine. De plus, la psychiatrie est aussi identifiée à « ceux qui sont dérangés du cerveau », donc il est vraiment inutile que ce soit un passage obligatoire. Quand il y a une demande de transition, la première personne à voir c’est un endocrinologue qui rédirigera peut-être vers un psychiatre s’il en ressent le besoin.
##Que pensez vous de la loi de modernisation de la justice au XXIe siècle ?
C’est un pas en avant évidemment d’avoir enlever l’aspect « maladie », après cela reste un peu arbitraire vis-à-vis des territoires puisque dans certains des procureurs sont plus rigides et d’autres plus souples. Je suis favorable à ce que disent les associations : la reconnaissance devant l’officier d’état civil qui donne une reconnaissance sociale, civile alors que le procureur juge, ce qui renvoie à la morale, à la faute. En ce qui concerne la sexualité, le préjugé moral peut parfois être trop fort avec ce système de juge.
##Comment expliquez-vous que Lacan parle de transsexualisme comme d’une « psychose » ? Et pensez-vous que ça pourrait expliquer la rigidité du corps médical français sur la question ?
Pour la première question c’est surement par défaut passionnel puisqu’il était en train de créer son concept de forclusion (le rejet du phallus, forclos du Nom du père) et qu’il a voulu retrouver chez les transsexuels cette affaire là. En 1958 il rédige un texte très dogmatique où il glisse les transsexuels et donc cela a créé un dogmatisme psychanalytique sur la question.
Ensuite, Lacan a eu une influence dans la psychanalyse, et la psychanalyse était très forte dans le monde psychiatrique. Ainsi la théorie lacanienne a porté ce dogmatisme là vis-à-vis de la transidentité. Mais cette caractéristique française vient aussi de l’histoire politique et historique avec le Code Napoléon et l’hégélianisme administratif (Hegel : transformer la vie en concept. Par exemple, le transsexuel c’est un forclos du Nom du Père, point. Ca ne tient pas de la vie des personnes.) qui a instauré un ordre moral très fort.
##Parmis les patients que vous voyez après leurs transitions, comment vivent-ils ?
C’est toujours dur de faire des généralités. D’abord, parmi les gens que je vois il y a une très faible proportion de travailleurs du sexe. Aujourd’hui il y a l’avantage de prendre en charge les choses tôt pour éviter que la féminisation ou masculinisation naturelle soit trop importante, et l’apparence est très importante dans la reconnaissance sociale. Dans l’ensemble il y a une meilleure compréhension du problème.
Après c’est surtout des contextes singuliers, avec par exemple un homme qui devient femme tardivement et qui a des enfants, ou qui est cadre avec des responsabilités importantes, c’est plus difficile. Il y a des contingences importantes, avec certaines entreprises qui sont plus avancées que d’autres sur le sujet, même si la loi de 2012 contre les discriminations de genre a aidé. La religion parfois influe mais c’est rare, et dans ces cas c’est toujours l’entourage qui est rigidifié - que ce soit au niveau catholique ou musulman - plus que la personne elle-même.