Un problème de santé publique

Les humains sont exposés aux perturbateurs endocriniens “par de multiples voies (ingestion, inhalation, contact cutané) et de multiples milieux (eaux, aliments, produits ou articles de consommation, dispositifs médicaux…).” d’après l’Anses, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail. En effet, les perturbateurs endocriniens sont omniprésents dans notre quotidien d’individus de pays industrialisés mais c’est aussi le cas pour des populations très éloignées des zones initiales de pollution.

Une exposition omniprésente et quotidienne

Si on se penche d’abord sur le cas du quotidien des individus vivant dans des zones dites “industrialisées”, on voit que les perturbateurs endocriniens sont partout. Dans une étude publiée fin avril, l’UFC-Que-Choisir insiste sur l’omniprésence des perturbateurs endocriniens dans notre environnement. Les perturbateurs endocriniens seraient présents dans plus de 400 produits du quotidien (aliments, médicaments, produits ménagers, cosmétiques...).

Médicaments

L’INSERM a montré le rôle potentiel de perturbateurs endocriniens dans des antalgiques (comme le paracétamol, les anti-inflammatoires non stéroïdiens tels que l’aspirine et l’indométacine).

Cosmétiques

L’UFC-Que-Choisir a dressé en février 2016 la liste des produits cosmétiques contenant des perturbateurs endocriniens. Maquillage, parfums, vernis, déodorant, produit pour nourrisson, une liste inquiétante qui a doublé depuis sa création.

Jouets en plastique

La plupart des jouets en PVC (polychlorure de vinyle : une des matières plastiques les plus utilisés au monde), contiennent des perturbateurs endocriniens notamment des phtalates.

Meubles et produits ménagers /Moquette/ Air intérieur

Les vernis utilisés pour les meubles, la vaisselle en plastique, les ustensiles de cuisines, les produits ménagers peuvent contenir du Bisphénol A, des phtalates, benzène et bien d’autres. Même s'ils ne sont pas ingérés de manière directe, nos aliments s’en imprègnent, en particulier quand ils sont chauffés. Le Plan de la qualité de l’air intérieur publié en 2013 témoigne de l’omniprésence de ces molécules volatiles à l’intérieur d’une maison.

L’eau du robinet

L’association Générations futures a publié un rapport en 2016 qui témoigne de la présence de perturbateurs endocriniens inquiétants dans l’eau du robinet (glyphosate et atrazine). Ce rapport met également en avant la présence de résidus médicamenteux à des niveaux faibles dans l’eau du robinet. On peut également insister sur la présence de l’herbicide atrazine produit par Monsanto, interdit depuis 2003 mais qui reste toujours la molécule la plus présente dans les nappes phréatiques.

Fruits et Légumes

Les pesticides présents sur les fruits et légumes représentent les perturbateurs endocriniens les plus importants (pyriméthanil, Iprodione...). L’association Générations futures a montré notamment la présence de 9,4 résidus de pesticide en moyenne dans les mueslis non bio. Un chiffre alarmant qui ne tient pas compte de “l’effet cocktail nocif” dû à la présence de cette multitude de perturbateurs.

Les mécanismes d’exposition aux perturbateurs endocriniens

Les perturbateurs endocriniens sont des substances que l’on produit, certes, en grande quantité à cause de notre production industrielle, mais les enjeux de l’exposition aux perturbateurs endocriniens relèvent aussi d’autres facteurs. En effet, en plus d’être présents en quantités anormales dans notre environnement, les perturbateurs endocriniens sont des molécules très volatiles qui sont persistantes dans l’environnement et l’organisme et ces caractéristiques sont essentielles lorsque l’on veut considérer la dangerosité de ces substances et de leur dispersion dans tous les écosystèmes mondiaux.

La volatilité

Les perturbateurs endocriniens sont volatils, ce qui signifie que ces molécules se vaporisent facilement, c’est-à-dire qu’elles sont capables de passer sous état gazeux et donc de se diffuser dans l’atmosphère. Cela implique donc qu'elles peuvent parcourir de longues distances. Ainsi, la contamination d’un environnement par des perturbateurs endocriniens à un endroit donné par une usine donnée par exemple ne reste pas localisée à cet endroit et la pollution aux perturbateurs endocriniens ne peut être contenue géographiquement, elle est donc un enjeu mondial car elle ne connaît pas de frontières.

L’affinité aux graisses

Les perturbateurs endocriniens sont des molécules qui ont des affinités fortes avec les graisses animales comme humaines et qui une fois liées avec elles ne sont éliminées que difficilement par les organismes. Ainsi, la concentration en perturbateurs endocriniens évolue le long de la chaîne alimentaire. Par exemple, un herbivore va avoir une concentration de perturbateurs endocriniens dans ses graisses inférieure à son prédateur, carnivore, qui accumule les perturbateurs endocriniens à travers les graisses animales, elles-mêmes contaminées, qu’il ingère. Plus on remonte la chaîne alimentaire, plus les perturbateurs endocriniens s’accumulent dans la nourriture de l’espèce considérée et plus celle-ci possède une concentration en perturbateurs endocriniens forte, on parle de bioaccumulation. Ce qui par ailleurs fait de l’ours ou de l’humain, qui sont en haut de la chaîne alimentaire, des espèces particulièrement contaminées par les perturbateurs endocriniens.

Nous allons voir comment ces deux caractéristiques des perturbateurs endocriniens en font des substances particulièrement dangereuses à travers un exemple : la contamination des Inuits de l’Arctique.

La contamination des Inuits de l'Arctique

À partir de la fin des années 1980, les chercheurs se sont rendus compte que les populations inuits du Nord du Canada et du Groenland étaient contaminées par des doses anormalement élevées de PCB, un perturbateur endocrinien.

Le PCB, polychlorobiphényle, est une substance chimique qui a été introduite sur le marché en 1929 et qui a rapidement connu un important succès. Celui-ci est d’abord utilisé par l’industrie puis il rentre dans la composition de nombreux biens de consommation. Les premiers effets toxiques sont observés sur des ouvriers en 1936. A partir des années 60, les scientifiques trouvent que cette substance est omniprésente dans notre environnement mais aussi dans nos organismes.

En effet, le PCB en tant que perturbateur endocrinien est une molécule stable, volatile et qui présente une forte affinité pour les graisses. Ainsi, celle-ci s’est peu à peu au fil des années répandue sur l’ensemble de la planète ne laissant aucun écosystème vierge puisque même l'Arctique fut contaminé au gré des vents et des courants marins notamment.

Les inuits furent particulièrement touchés par la pollution au PCB car ceux-ci ont un régime alimentaire traditionnel basé principalement sur la chasse et la pêche. Or, on a vu que le PCB a une forte affinité pour les graisses donc comme tous les perturbateurs endocriniens sa proportion augmente le long de la chaîne alimentaire et les inuits ayant un régime particulièrement carnivore, ils ont donc accumulé dans leurs graisses des doses de PCB très importantes. Les chercheurs ont ainsi montré que les nouveau-nés inuits ingèrent à travers l’allaitement 7 fois plus de PCB que leurs homologues américains ou canadiens. Cette contamination eu notamment des conséquences sur les systèmes immunitaires des Inuits qui furent affaiblis les rendant plus vulnérables aux maladies infectieuses.

Une nouvelle approche de la toxicologie

Les perturbateurs endocriniens sont des substances qui ont nécessité et nécessitent encore un renouvellement des principes des sciences traditionnelles car ils ont des caractéristiques différentes des autres substances nocives pour les écosystèmes et les humains. C’est par ailleurs une des raisons qui font que les perturbateurs endocriniens posent aujourd’hui des difficultés en ce qui concerne leur réglementation. En effet, les perturbateurs endocriniens remettent en question les principes traditionnels de la toxicologie.

D’après Robert Barouki, médecin, biochimiste et toxicologue, la toxicologie “étudie les interactions potentiellement dangereuses entre un organisme vivant et son environnement chimique ainsi que les mécanismes d’adaptation.” Dans le cas des perturbateurs endocriniens, la toxicologie s’intéresse à la toxicité par perturbation de l’homéostasie (“Processus de régulation par lequel l'organisme maintient les différentes constantes du milieu intérieur (ensemble des liquides de l'organisme) entre les limites des valeurs normales.”) et plus particulièrement de l’homéostasie hormonale. Robert Barouki propose une définition de la perturbation endocrinienne par le biais des mécanismes toxicologiques, ainsi il décrit : “La perturbation endocrinienne est un ensemble de mécanismes de toxicité fondés sur la déviation de l’homéostasie et des régulations physiologiques et développementales”. Seulement, ces mécanismes sont la source de plusieurs problématiques pour la toxicologie.

Tout d’abord, il est difficile d’analyser l’exposome d’un individu, c’est-à-dire la totalité des expositions aux perturbateurs endocriniens qu’un individu peut subir de la conception à la mort dans le temps et dans l’espace. En effet, l’exposition aux perturbateurs endocriniens est continue le long de la vie d’un organisme et donc difficile à qualifier et à mesurer alors que l’exposition à un poison par exemple est quelque chose définie dans le temps et l’espace. Cette notion d’exposome est cependant fondamentale dans l’étude des perturbateurs endocriniens car elle permet de prendre en compte non seulement l’exposition pré-natale mais aussi la contamination des parents de l’individu qui lui transmettent leur pollution endocrinienne via leurs gamètes. De plus, les temps considérés dans l’étude des perturbateurs endocriniens sont très longs et d’autant plus difficile à modéliser.

Ensuite, les perturbateurs endocriniens sont des molécules qui réagissent aux mélanges, c’est ce qu’on appelle l’effet cocktail. Ici, l’approche mécanistique de la toxicité des perturbateurs endocriniens se révèle particulièrement pertinente pour comprendre cet effet. En effet, le nombre de molécules chimiques est démesurable, il y a donc une infinité de mélange mais si on considère seulement les différents mécanismes, leur nombre diminue largement. L’effet cocktail c’est en fait l’idée que deux molécules de perturbateurs endocriniens pris isolément ont des effets différents et souvent plus légers que si on les introduit dans l’organisme simultanément.

Enfin, les perturbateurs endocriniens ont en partie remis en question le principe de “la dose fait l’effet”. En effet, il a longtemps été considéré que lorsque la dose augmentait, l’effet aussi de façon monotone. Or, une partie des PE, ne satisfont pas cette assertion, il se peut qu’en augmentant la dose de perturbateurs endocriniens, l’effet observé soit à un moment diminué et que la relation entre la dose et l’effet ne soit pas linéaire mais puisse éventuellement former une parabole ou une relation décroissante. Ainsi, par exemple, lors de ses recherches sur le distilbène, Frederick Vom Saal a observé que pendant un temps, l’effet augmentait avec la dose de distilbène puis que leur effet diminuait à partir d’une certaine dose limite.

Dans une étude de 2012 intitulée “Low-dose effect and nonmonotonic dose-responses of endocrine disrupting chemicals”, une équipe de scientifique étudie justement ces courbes doses-effets avec des perturbateurs endocriniens et démontrent ces relations non-monolithiques, nous avons ici quelques exemples des formes des courbes qu’ils ont pu trouver.

Graphique2

Par exemple, la courbe A peut être expliquée par le fait qu’un perturbateur endocrinien particulier ait pour cibles deux récepteurs différents et aux effets antagonistes l’un de l’autre. Le premier étant activé à faibles doses et la deuxième s’activant à fortes doses, ainsi l’effet diminue avec la dose à partir d’un certain point critique.

Ainsi, les perturbateurs endocriniens ont provoqué le renouvellement des concepts toxicologiques qui ont été remis en cause face à des substances ne satisfaisant pas les principes traditionnels.

Quels dangers pour l’Homme ?

Les maladies provoquées chez l’Homme par les perturbateurs endocriniens sont encore un sujet de la recherche scientifique, on peut citer par exemple parmi les travaux en cours les recherches de Barbara Demeneix et de son équipe sur la perturbation des hormones thyroïdiennes et son impact sur le développement du cerveau.

Cependant, on peut établir une liste non exhaustive des effets des perturbateurs endocriniens sur l’humain : problèmes de diabètes et d’obésité, problème sur le développement du cerveau influent sur le comportement, problème de fertilité, cancers hormonaux, malformations génitales…

Ainsi, de nombreuses maladies peuvent aujourd’hui être considérées comme causées par l’exposition aux perturbateurs endocriniens. Et cela pose des problèmes sanitaires importants qui ont poussé les scientifiques à faire émerger la problématique des perturbateurs endocriniens au sein de l’espace public.