Afin de mieux cerner la manière dont la presse rend compte de la controverse, il est possible de recenser les articles publiés à son sujet entre l'annonce du projet et l'ouverture de la SCMR en octobre dernier. À chaque lecture, le sujet de l’article, les personnes et les entités dont il est question, les personnes qui étaient citées ainsi que les dénominations utilisées pour qualifier la SCMR et ses usagers (ou futurs usagers selon la période de parution de l’article) sont relevés. Cela permet de dégager une représentation générale de la controverse donnée par la presse généraliste française (ce travail a pu être réalisé grâce au rassemblement de ces articles sur la plateforme Zotero).
Un constat : les usagers ou futurs usagers de la salle ne sont pas entendus dans les journaux
Nombre d’articles qui évoquent certaines personnalités en fonction du temps. Exemple : en 2013, Rémi Féraud a été évoqué dans 18 articles, c’est celui qui a été le plus évoqué cette année-là dans la presse.
Nombre d’articles qui citent des personnalités en fonction du temps. Exemple : les riverains ont été cités dans 12 articles au cours de l’année 2013.
Les personnes qui seront amenées à fréquenter la SCMR ne sont quasiment jamais évoquées : dans ces articles, les familles de toxicomanes et les toxicomanes eux-mêmes ne sont interrogés qu’une seule fois chacun. La parole n’est donc pas donnée aux personnes qui semblent les plus concernées par la SCMR. Ce sont pourtant ces personnes-là qui décideront ou non d’utiliser ses services et elles ne sont pas entendues. Le seul article qui leur donne la parole et les évoque est rédigé en novembre 2016, un mois après l’ouverture de la SCMR. Sur la base des 130 articles lus et analysés, c’est le seul article qui fournit une description physique des personnes qu’il fait parler. Les riverains ne font pas l’objet de descriptions particulières, ni même les personnalités politiques ou encore les tenants de la SCMR. Le traitement réservé aux personnes considérées toxicomanes présente donc deux spécificités: ce sont les seuls acteurs de la controverse dont on parle mais qu’on ne fait jamais parler (un seul article sur une base de données de plus de 130 articles) et ce sont les seuls que l’on décrit physiquement. Sans pousser l’interprétation à son extrême, cela favorise la représentation d’une population marginalisée, dont on veut changer voire encadrer le comportement, sans pour autant leur donner la possibilité de s’exprimer.
Un second constat : la parole est donnée en grande partie aux riverains et aux porteurs associatifs et gouvernementaux du projet
Nombre d’articles évoquant une entité en particulier en fonction du temps. Exemple : la gare du Nord a été évoquée dans 17 articles en 2013.
Un enjeu qui semble particulièrement inquiéter les riverains est la sécurité et la salubrité du quartier qu’ils fréquentent. Là encore, les spécialistes de la question ne se font pas entendre : la préfecture de police de Paris ainsi que les témoignages de policiers se font très rares dans les articles (cf. graphique « entités » ci-dessus). Très peu de données sont révélées à propos de la violence provoquée par la fréquentation de quartiers par les usagers d’une SCMR (que ce soit en France ou ailleurs) alors que les riverains en font souvent une des sources principales de leurs interrogations. Le lien de causalité établi par certaines parties interrogées n’est pas mis à l’épreuve. L’étude de ces articles démontre alors une absence de statistiques dans la presse “généraliste”.
Un troisième constat : la parole n’est pas donnée aux professionnels de santé et les rapports sanitaires ne sont quasiment jamais évoqués dans les articles
Nombre d’articles évoquant un sujet en particulier en fonction du temps ou “quoi”. Exemple : le déplacement de la SCMR a été évoqué dans huit articles en 2015.
D’après les données recueillies, la presse traite en grande partie l’aspect “localisé” de la controverse. En effet, dans les graphiques, on remarque que les personnes à qui la parole est le plus donnée ou auxquelles on fait le plus souvent allusion sont les personnes porteuses du projet (telles que Rémi Féraud, maire du Xe arrondissement ou Marisol Touraine) ainsi que les riverains ou associations de riverains. Il n’est quasiment pas - voire jamais - fait allusion à la controverse scientifique sous-jacente, censée représenter un des enjeux principaux du projet selon le gouvernement, aux côtés de la problématique sociale de réinsertion des “précarisés”.
Un traitement qui “enfouit” certains débats
En apparence, la presse semble accorder beaucoup de visibilité aux débats sur la SCMR parisienne en tant que telle, avec les problèmes de voisinage qu’elle pourrait causer, les querelles politiques qu’elle implique etc. Elle évoque moins les aspects plus scientifiques de la question. Les personnels de santé ne sont pas ou très peu entendus. Très peu d’allusions sont faites à des expériences passées alors que les SCMR existent (de manière officielle) depuis plus de trente ans dans des pays comparables à la France en termes géographique, économique et culturel. Ils pourraient servir d’exemples concrets à mettre en parallèle avec le projet de SCMR proposé par la ville de Paris. L'étude de ces différents articles révèle également la mise à l’écart d’une partie des acteurs qui devraient trouver leur place dans cette controverse : les personnes qui fréquentent la SCMR.